Le bruit et la fureur. Avec son retour fracassant à la Maison-Blanche, Donald Trump fait trembler les cercles économiques internationaux. Et plus particulièrement européens. Ses premières mesures préparent en effet une politique économique extrêmement agressive qui pourrait bouleverser les relations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne (UE). À travers l’imposition de droits de douane élevés et un nationalisme économique exacerbé, cette stratégie suscite des inquiétudes majeures à Bruxelles.
Une guerre économique en gestation
Dans un entretien accordé à TRT Français, Claire Alet, journaliste économique au magazine Le 1, assure que la politique douanière de Donald Trump s’inscrit avant tout dans une logique de rapport de force. "Il fonctionne uniquement dans le rapport de force [...]. Le simple fait de poser ces menaces constitue une véritable déclaration de guerre économique".
Durant son premier mandat, Trump avait déjà frappé l’Europe avec des taxes sur l’acier, l’aluminium et les lave-linges. Aujourd’hui, il menace d’imposer des hausses douanières de 10% à 20% sur une large gamme de produits européens. Interrogé par TRT Français, Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire Français des Conjonctures économiques (OFCE), ajoute que cette politique s’inscrit dans une vision « bipolaire » du commerce mondial, opposant les produits américains à ceux du reste du monde, notamment chinois.
Selon lui, ce découplage entraînera un choc pour l’Europe. "La politique de Trump pourrait fragiliser les industries européennes face à une concurrence accrue des produits chinois redirigés vers notre continent". Henri Sterdyniak affirme ainsi que cette politique protectionniste pourrait polariser davantage le commerce mondial.
"Parallèlement, l’introduction de barrières douanières sur les produits américains rendrait les exportations européennes moins compétitives. À terme, cela pourrait affaiblir des secteurs stratégiques et menacer des milliers d’emplois, tout en ralentissant les efforts de réindustrialisation verte en Europe."
L’industrie européenne dans le viseur
L'Allemagne, moteur industriel de l'Europe, apparaît comme la principale cible de cette guerre commerciale. Trump semble avoir dans son viseur les constructeurs automobiles allemands, un secteur stratégique pour Berlin. Comme le souligne Claire Alet, les répercussions pourraient être sévères, mettant en péril des emplois et affaiblissant une économie déjà fébrile. "L’Allemagne serait le pays le plus impacté, car elle vend beaucoup de voitures aux États-Unis", explique-t-elle. "La stratégie protectionniste de Trump vise à rapatrier les emplois manufacturiers sur le sol américain, obligeant des groupes internationaux comme Stellantis à réorienter leur production. Si l’Allemagne est en première ligne, la France serait moins touchée, ses exportations vers les États-Unis représentent seulement 8 %, avec une concentration sur des secteurs comme le luxe et les boissons alcoolisées". Henri Sterdyniak nuance cependant l’efficacité de cette stratégie : "L’économie américaine est une économie au plein emploi qui consomme trop. [...] La politique de Trump, bien que protectionniste, n’est pas fondamentalement condamnable, mais son impact sur le déficit commercial reste incertain".
Une réponse européenne encore timide
Face à cette menace, l’Union européenne semble partagée. Si des mesures de rétorsion, telles que des droits de douane sur les produits américains sont envisagées, la stratégie actuelle de Bruxelles penche davantage vers une approche conciliatrice. Cela s'explique par les enjeux géopolitiques et stratégiques, notamment le rôle crucial des États-Unis dans le conflit ukrainien.
Cependant, Henri Sterdyniak insiste sur la nécessité pour l'Europe de répondre par une politique proactive : soutien massif à l'industrie verte, défense de l'euro et développement d'un marché intérieur robuste. Claire Alet évoque quant à elle une Europe divisée. "La Commission européenne semble pour l’instant chercher à négocier avec les États-Unis. Cependant, la réplique pourrait inclure des mesures protectionnistes similaires".
Claire Alet ajoute que ce contexte économique tendu pourrait exacerber les divisions internes à l’Union européenne. "Si l’Allemagne est la première visée, les effets de la politique de Trump varieront d’un pays à l’autre. La nécessité d’une réponse commune à cette menace pourrait renforcer l’unité européenne, ou au contraire révéler des failles profondes". Derrière ses annonces agressives à l’endroit de l’Union Européenne, l’objectif de Donald Trump est donc de réindustrialiser les États-Unis. Cependant, Henry Sterdyniak assure que cette vision protectionniste à court terme n’est pas viable. "L’économie américaine souffre d'un surendettement chronique et d'une consommation excessive, rendant la viabilité de cette politique incertaine".
Les implications diplomatiques et militaires
Outre l’économie, la politique de Trump comporte une dimension diplomatique et militaire préoccupante. L’ancien magnat de l’immobilier a effectivement souvent critiqué l’OTAN et demandé aux pays européens d’assumer une plus grande part du financement de leur défense. Selon des analystes comme Thomas Wright, spécialiste des relations transatlantiques, cela pourrait affaiblir l’alliance atlantique et rendre l’Europe plus vulnérable.
Par ailleurs, la sortie des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat affaiblirait davantage les initiatives européennes en faveur de la transition écologique. Sa vision "America First " pourrait par conséquent accentuer les tensions au sein de l’OTAN et questionner la pertinence de l’alliance transatlantique pour les Européens.
La gestion de la guerre en Ukraine pourrait également devenir un point de discorde majeur. L’Union européenne, qui dépend largement des États-Unis pour le soutien militaire à Kiev, devra composer avec une administration Trump probablement plus isolationniste. Cette réalité complexifie la réponse potentielle de Bruxelles comme le souligne Claire Alet. "La Commission européenne, dirigée par Ursula Von der Leyen, adopte pour l’instant une posture conciliante, cherchant à préserver les relations transatlantiques malgré les tensions économiques". Le président Trump a également affiché sa volonté d’entamer un bras de fer intense avec le président français Emmanuel Macron. Dans son style direct et sans concession, Trump a immédiatement remis en question les accords commerciaux et climatiques que Paris juge cruciaux. Parmi les principaux points de friction figure la taxation des géants du numérique. Macron, déterminé à mettre fin à l’évasion fiscale des multinationales, a instauré une taxe sur les entreprises comme Google et Amazon, une mesure que Trump considère comme une attaque contre les intérêts américains. Les menaces de représailles sous forme de droits de douane sur les produits français, notamment le vin, font dans cette optique office d’une première étape de représailles de la nouvelle administration américaine à l’encontre de la France.
Du côté de l’Élysée, les divergences sur le climat, matérialisées par le retrait des États-Unis de l’accord de Paris, suscitent la colère de Macron, fervent défenseur de la lutte contre le réchauffement climatique. Au-delà de leur portée concrète, ces désaccords traduisent des visions du monde totalement irréconciliables. D’un côté, un Trump ouvertement nationaliste et protectionniste, et de l’autre, un Macron européiste et multilatéraliste. Un conflit quasi philosophique qui pourrait par ailleurs constituer le fil rouge du mandat Trump, reflétant un monde en quête de nouveaux équilibres entre souveraineté nationale et gouvernance supranationale.
Ainsi, la politique protectionniste, unilatérale et isolationniste de Donald Trump pourrait redessiner le commerce mondial et exacerber les tensions transatlantiques. Pour l’Europe, l’enjeu est de taille : développer une réponse unifiée et renforcer ses capacités économiques et stratégiques pour faire face à cette tempête annoncée.