Un demandeur d'asile afghan de 30 ans, s'est suicidé en se jetant dans un canal en Wallonie, en février dernier. Ayant fui l'Afghanistan avant la prise du pouvoir par les Talibans, il estimait ne pas pouvoir retourner dans son pays. Malgré les preuves qu’il a présentées pour étayer sa demande de protection internationale, celle-ci a été rejetée, illustrant les défis auxquels sont confrontés de nombreux demandeurs d'asile. Son avocate a lancé un recours qui a reçu, après plus d’un an d’attente, un refus. La goutte de trop pour le jeune afghan, qui, désespéré, a commis l’irréparable.
Oriane Todts, avocate en droits des étrangers, représentait I.M. pour sa demande d'asile. Elle exprime son désarroi dans une lettre ouverte adressée à la Commissaire générale aux Réfugiés et aux Apatrides, au Premier président du Conseil du Contentieux des étrangers et à la Secrétaire d'État à l'Asile et à l'Immigration. Elle pointe du doigt le durcissement croissant de la politique belge envers les demandeurs d'asile afghans et la nette diminution des taux de reconnaissance de protection internationale qui en découle.
Statistiques alarmantes
Les chiffres du Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA) indiquent une baisse significative des taux de reconnaissance pour les Afghans, passant de 44 % en 2022 à seulement 35 % en 2023. Cette disparité avec d'autres pays de l'Union européenne, tels que les Pays-Bas (98,9 %), l'Autriche (98,1 %) et la France (68,6 %), soulève des préoccupations quant à la cohérence des décisions à l'échelle européenne.
Bien que les Talibans soient au pouvoir depuis août 2021, la Belgique ne considère pas que le retour des Afghans dans leur pays constitue un réel danger pour chacun d’entre eux. En effet, sur le site du Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides, on peut lire : “tous les Afghans ne courent pas un risque réel en cas de retour. Le fait que le régime taliban soit extrêmement problématique ne signifie pas que chaque Afghan risque d’être persécuté.”
Pourtant, des conséquences dramatiques sur les populations afghanes ont déjà été mesurées par Amnesty International depuis la prise de pouvoir des talibans. En effet, des rapports d’organismes internationaux font état de sérieuses atteintes aux libertés individuelles et aux droits des femmes, notamment, d’autant plus que la sécheresse, les catastrophes naturelles et les bouleversements économiques ont aggravé la crise humanitaire, avec une augmentation de la pauvreté extrême.
Par ailleurs, MYRIA, le Centre Fédéral Migration, a plusieurs fois souligné l’absence de mesures de facilitation pour les demandes de visa de familles afghanes qui se trouvent en Belgique, suite à la prise de pouvoir des talibans. Or, le contexte politique rendait quasi impossible le fait de rassembler les documents requis pour introduire des demandes de regroupement familial ou de visa humanitaire aux institutions compétentes, notamment en raison de la fermeture des ambassades.
Les conséquences des refus sur les demandeurs d’asile
Oriane Todts souligne, par ailleurs, le fardeau émotionnel et psychologique imposé aux demandeurs d'asile, déjà fragilisés par l'exil et la séparation familiale. “Lorsqu'il arrive une décision négative, c'est souvent là que je vois les demandeurs d’asile s'effondrer, parce que jusque-là ils avaient bien tenu le coup, ils étaient positifs et optimistes avec l’espoir d’être entendus. Il y a une sorte de contre-coup, qui arrive au moment de la décision négative, où ils repensent à tout le trajet qu'ils ont fait pour en arriver là”, détaille l’avocate.
“De manière plus générale, on est face à un groupe de personnes qui sont à mon sens inexpulsables, qui se retrouvent en Belgique à la fin de la demande d'asile sans titre de séjour, sans lieu de vie et donc complètement livrées à elles-mêmes”, poursuit-elle.
Le retour dans le pays d’origine étant inenvisageable pour les demandeurs d’asile, ils se retrouvent donc dans l’illégalité et dans la précarité car ils ne peuvent pas quitter le territoire belge.
L’avocate interroge les autorités belges. À la Commissaire générale, elle demande pourquoi une même situation humanitaire et sécuritaire est interprétée de manière si différente dans les pays européens. À la Secrétaire d'État, elle questionne le refus d'octroyer un titre de séjour à des travailleurs afghans respectueux de l'ordre public.
Repenser la politique d'asile
En conclusion, Oriane Todts interpelle les responsables sur la réalité des individus derrière chaque dossier d'asile et met en garde contre une politique inhumaine qui accentue le drame vécu par des milliers d’Afghans. Cette tragédie ne se limite pas aux frontières belges, mais touche également les familles restées au pays.
Pour Maître Todts, il y aurait d’autres solutions qui demandent un courage politique : “On pourrait éventuellement se dire qu'il y a des motifs humanitaires qui justifient le droit ou moins d'un séjour en Belgique. Et cette décision pourrait être prise politiquement par la secrétaire d'Etat, c'est-à-dire que des personnes qui sont de nationalité afghane pourraient avoir un séjour à minimum temporaire qui pourrait être basé, notamment, sur leur intégration professionnelle... Cela permettrait d’éviter des situations dramatiques”.