Le président sénégalais Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, a annoncé, quelques heures seulement avant l'ouverture de la campagne électorale dimanche à 00H00 (locale et GMT), le report du scrutin présidentiel.
A Washington, le département d'Etat s’est dit "profondément préoccupé" par cette annonce, exhortant tous “les participants au processus électoral sénégalais à s'engager pacifiquement dans l'effort important visant à fixer rapidement une nouvelle date et les conditions d'une élection libre et équitable".
Le Bureau des Affaires africaines du département d'Etat a ajouté dans un tweet sur la plateforme X que le Sénégal "a une forte tradition démocratique et de transitions pacifiques du pouvoir".
Pour sa part, la France a appelé dimanche le Sénégal à lever les "incertitudes" créées par l’annonce faite par le président Macky Sall de reporter les élections présidentielles.
"Nous appelons les autorités à lever les incertitudes autour du calendrier électoral pour que les élections puissent se tenir dans le meilleur délai possible et dans le respect des règles de la démocratie sénégalaise", a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.
L'organisation régionale ouest-africaine Cedeao a de son côté exprimé "son inquiétude face aux circonstances qui ont conduit au report de l'élection", dans un communiqué publié sur X. Elle "appelle les autorités compétentes à favoriser les procédures afin de fixer une nouvelle date" pour le scrutin.
C'est la première fois depuis 1963 qu'une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal, pays présenté comme un îlot de stabilité en Afrique.
"J'ai signé le décret du 3 février 2024 abrogeant le décret" du 26 novembre 2023 fixant la présidentielle au 25 février 2024, a dit M. Sall.
"Notre pays est confronté depuis quelques jours à un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d'une supposée affaire de corruption de juges", a-t-il déclaré.
Sall a argué que le Sénégal ne peut "se permettre une nouvelle crise" après des troubles meurtriers en mars 2021 et juin 2023, annonçant "un dialogue national" pour "une élection libre, transparente et inclusive" et réitérant son engagement à ne pas être candidat.
Le ministre Secrétaire général du gouvernement Abdou Latif Coulibaly, frère d'un des deux juges soupçonnés de corruption, a annoncé sa démission du gouvernement pour recouvrer "sa pleine et entière liberté".
"Ce n'est pas un report mais une annulation de l'élection tout simplement", a réagi sur Facebook El Malick Ndiaye, ex-porte-parole du parti dissous de l'opposant emprisonné Ousmane Sonko.
L'opposant sénégalais Khalifa Sall, un des principaux candidats à la présidentielle, a appelé tout le pays à "se lever" contre le report du scrutin.
Selon le code électoral, un décret fixant la date d'une nouvelle présidentielle doit être publié au plus tard 80 jours avant le scrutin, ce qui mènerait, à partir de samedi, à fin avril.
"Report de six mois maximum"
Le bureau de l'Assemblée nationale a adopté samedi une proposition, à l'initiative de la coalition de Karim Wade, pour un "report de six mois maximum" de la présidentielle du 25 février, a annoncé la télévision publique.
Les députés doivent ensuite se réunir en commission pour l'examiner, avant une plénière à une date non précisée.
Par ailleurs, une des vingt candidats, Rose Wardini, a été placée vendredi soir en garde à vue par la police judiciaire pour "faux et usage de faux et escroquerie au jugement", dans une enquête sur sa nationalité franco-sénégalaise présumée, a dit à l'AFP une source policière.
Tout candidat "doit être exclusivement de nationalité sénégalaise", dit la Constitution. Le cas de cette candidate a été évoqué samedi par le président Sall comme un élément de la décision de report.
Karim Wade, 55 ans, né en France d'un père sénégalais et d'une mère française, a été exclu du scrutin à cause de sa double nationalité sénégalaise et française, selon le Conseil.
M. Wade avait dénoncé "un nouveau complot judiciaire", après avoir été empêché de concourir en 2019 du fait de sa condamnation en 2015 à six ans de prison pour enrichissement illicite.
Appel à manifester
L'opposition au Sénégal a appelé à manifester dimanche à Dakar et prévoit de lancer la campagne électorale comme prévu, rejetant la décision du président Sall, qui a suscité un tollé.
Plusieurs candidats de l'opposition ont annoncé dimanche à la presse et sur les réseaux sociaux qu'ils vont passer outre la décision du président Sall et maintenir le lancement dimanche de leur campagne électorale.
"Nous rejetons systématiquement le décret (reportant la présidentielle). Nous donnons rendez-vous ce dimanche à tous les Sénégalais pour une marche" à Dakar, a déclaré Cheikh Tidiane Youm, un porte-parole du camp de l'opposition sur la radio privée RFM.
"Nous nous sommes réunis et entendus pour nous rassembler à partir de 15H00 (locales et GMT) pour démarrer notre campagne (électorale) de façon collective", a déclaré, sur la même radio, Habib Sy, un des 20 candidats qui devaient concourir au scrutin reporté.
"Toutes les forces vives de la nation doivent s'organiser, agir et obtenir la restauration du calendrier républicain", a écrit l'intellectuel Felwine Sarr dans une tribune.
L'opposant sénégalais Khalifa Sall, un des principaux candidats à la présidentielle, avait appelé samedi tout le pays à "se lever" contre le report du scrutin.
L'ancienne Première ministre Aminata Touré a fustigé sur les réseaux sociaux une "régression démocratique sans précédent" et enjoint "les démocrates et les citoyens (à) se mobiliser pour défendre nos acquis démocratiques".