"Audette, toi qui écoutes, transmets et sauves, la Montagne blanche m’a donné à vivre, Paris m’a volé mon audace, mon verbe et ma piété". Ainsi commence « Paris est une dette », le nouveau roman de Saber Mansouri, paru aux éditions Elyzad. L’écrivain tunisien raconte dans son 4ème roman l’arrivée à l’automne 2018 dans la ville lumière de Nader, jeune Tunisien féru de culture classique. Venu pour rédiger une thèse sur le verbe et la piété chez Bossuet, il ira de désillusion en désillusion, avant d’être sauvé par la bonté et de (re)devenir boucher, comme son père.
"Ce qui me lie à ce personnage qui s'appelle Nader, qui veut dire rare, précieux, malin, c'est la boucherie, explique à TRT français Saber Mansouri, par une fin d’après-midi de printemps, dans une allée du jardin du Luxembourg lors d’un bref passage à Paris. La boucherie dans le sens où cet artisanat était celui de mes pères. Et donc, c'est un artisanat qui m'a donné à vivre, à un moment donné. Aujourd'hui, il me donne à écrire, à penser ".
Saber Mansouri naît en 1971 en Tunisie. En 1995, il a "la chance" de croiser la route de Claude Mossé, venue donner deux conférences sur les révolutions oligarchiques à Athènes, et l'histoire des femmes. A la fin des ces conférences, Saber Mansouri lui fait part de son désir de venir à Paris faire un DEA. "Une semaine plus tard, cette grande dame, qui nous a quittés en 2022, m'a envoyé une lettre d'accueil, où elle m'accepte comme étudiant", se rappelle-t-il. Son DEA d’histoire grecque en poche, il s’inscrit en thèse, sous la direction de Pierre Vidal-Naquet, "une figure intellectuelle engagée, qui a écrit à la fois des choses merveilleuses sur la Grèce, sur la torture en Algérie, sur l'antisémitisme, bien évidemment, sur ses parents déportés".
“Cette ville nous happe”
“Nader abandonne la thèse tout de suite, il devient boucher. Moi, je vais abandonner la boucherie, le métier de mes pères, pour faire une thèse. C'est le chemin inverse. Donc, c'est mon petit frère”, raconte ainsi Saber Mansouri, qui après avoir enseigné pendant 20 ans l’histoire grecque à l’université, se consacre depuis 4 ans à l’écriture, une écriture à la fois fine et érudite, sans concession.
Depuis, les étudiants africains, veilleurs de nuit dans des hôtels pour financer leurs études, se sont transformés en “chauffeurs Uber ou livreurs de colis Amazon”.
Et Saber Mansouri a quitté Paris, “cette ville qui nous happe et nous fait oublier qui nous sommes”, comme il l’écrit, pour l’ouest de la France. “Paris de l'an 2019 n'est plus la ville d'hier, de la fête commune, elle est devenue trop chère pour l'étranger qui la désire”, écrit-il encore dans son roman, Paris est une dette, qui contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est en aucun cas un clin d’oeil au “Paris est une fête” d’Hemingway.
Identité, exil sont autant de thèmes qui traversent le roman, mais Saber Mansouri botte en touche. "Je n'ai pas envie de rentrer encore une fois dans la question politique. Je pense qu'il y a tous mes essais qui sont là pour témoigner sur cette question". Saber Mansouri a en effet écrit : "Tu deviendras un français accompli" (2011), "L'islam confisqué" (2010) sur la représentation de l'islam en France, "Athènes vues par ses métèques", sur la figure de métèque (2011). "Donc sur toutes ces questions-là, j'estime avoir accompli ma mission pour avoir la conscience tranquille. Maintenant, j'écris des romans pour m'amuser un petit peu aussi, et pour faire danser la langue française ", explique-t-il.
Lui, helléniste et arabisant, qui a choisi d’écrire en français “parce que cette langue appartient à tout le monde”, constate cependant avec regret “une certaine dégradation du langage, une corruption du langage, qui, avec la corruption de la cité sont deux maux qui vont main dans la main.” “L’inculture nourrit la peur, “ assène-t-il.
"La dernière loi sur l'immigration est une honte"
Le romancier et essayiste ne manque pas de faire remarquer le "décalage entre les débats publics et la vie de tous les jours". "La dernière loi sur l'immigration est une honte", déclare-t-il. "Et le paradoxe, en fait, la grande imposture dans cette affaire, c'est que comment ça se fait qu'on fait une loi aussi dure et aussi violente alors qu'il n'y a plus ce désir de la France ? On sait pertinemment que tous les étrangers qui traversent la Méditerranée n'ont qu'un rêve, c'est d’aller en Allemagne ou en Angleterre ou au Canada ou ailleurs". En témoignent d’ailleurs les articles récents dans la presse sur une "certaine élite française musulmane, des gens bien installés, c'est-à-dire des ingénieurs, des financiers, des cadres, qui quittent la France parce que, pour eux, c'est insupportable, parce que ça sent mauvais".
Et puis Nader "n’a pas un problème identitaire", estime Saber Mansouri. "ll est très intelligent, il est malin. Il a compris une chose: Il n'y a aucune thèse, aucun concept, aucune théorie, aucune pensée, aucun livre, aucune œuvre d'art plus souverain que le réel et la bonté des hommes. En l'occurrence, dans le roman, la bonté humaine en question, c'est une femme, une Brestoise qui tient un restaurant et un Drômois qui tient une boucherie et ces deux-là lui ont ouvert les bras et l'ont sauvé d'une éventuelle dégradation dans Paris".
“Ces gens-là ne sont pas dans la pensée, ils ne sont pas dans la représentation de l'autre. Ils ont senti que Nader était bien. C'était un homme bien et bon au sens ancien du terme”.
"Dans une époque d'abondance, la rareté est devenue rare. Moi, j'aime bien les choses rares. Vous savez, je suis un peu archaïque, conclut Saber Mansouri, J'écris comme si je suivais un troupeau de chèvres. Avec l'idée que tout le troupeau rentre entier à la fin sans perdre un seul chevreau".