Parfois, certains décomptes frisent l’indécence. D’autres fois, ils éclairent sur la politique des états. En la matière, la France s’illustre par des mots certes volontaristes mais peu d’actes pour secourir les Palestiniens en détresse. Pourtant, le 24 mars, dans un entretien téléphonique avec Benjamin Netanyahu, le président français a réitéré « sa ferme opposition » à une intervention militaire d’Israël à Rafah tout en appelant à « un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza ». Des demandes vaines qui, en l’absence de décision forte, restent de l’ordre de la symbolique et entachent de toute évidence le crédit de la France face à la stratégie du chaos enclenchée par Benjamin Netanyahu depuis le 7 octobre.
Parmi les conséquences directes, la mort de 32 000 Palestiniens et le déplacement forcés de 2 millions de Gazaouis, contraints, d’abord, de fuir vers le Sud, avant, pour certains, de quitter leur terre pour l’Europe.
En France, 200 Palestiniens ont pu se réfugier et fuir l’enfer de Gaza, vraisemblablement bombardée au phosphore blanc, comme le pense Amnesty International. Les ONG n’ont eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme à propos du spectre de la famine imminente qui plane sur Gaza où l’aide humanitaire est utilisée comme arme de guerre par l’armée israélienne. Lundi, sept humanitaires de l’ONG américaine World Central Kitchen ont été abattus dans leur véhicule pourtant siglé du logo de l’organisation. Quelques heures auparavant, des photos des ruines de l’hôpital Al-Shifa, bombardé par l’armée israélienne, ont inondé les réseaux sociaux. On y voit des morceaux de corps d’adultes, d’enfants, laissant penser de manière sérieuse à un "risque génocidaire" pour reprendre les termes de la Cour Internationale de Justice. Un correspondant de l’AFP confirme, d’ailleurs, avoir vu des traces de pneus sur un corps près de l’entrée de l’hôpital sans pouvoir dater la mort de la personne. Un contexte d’une grande violence pour les civils livrés, en quelque sorte, aux mains des soldats israéliens, déjà sous le boisseau médiatique. Ce n’est pas pour autant que la France accepte d’accueillir un plus grand nombre de Palestiniens.
"Une gestion chaotique et soumise au bon vouloir d’Israël"
Une situation qui interroge et contraste avec l’élan de solidarité qui avait suivi le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, le 24 février 2022. Si l’on regarde les chiffres, le différentiel est frappant. Ainsi, la France a recueilli entre 70 000 et 100 000 réfugiés ukrainiens depuis 2023. Si elle ne rivalise pas avec les 1 100 000 Ukrainiens installés en Allemagne, la France a, quand même, ouvert ses portes généreusement à cette population. Sans parler des nombreux dispositifs, places gratuites en crèche ou allocations de soutien pour les foyers d’accueil, notamment. En France, l’accueil des Ukrainiens a coûté 500 millions d’euros. Autre dispositif, l’allocation pour demandeurs d’asile (Ada) octroyée sans pour autant qu’ils aient eu besoin de solliciter le statut de réfugiés.
Si les aides accordées aux Ukrainiens ne soulèvent pas de protestation, leur absence à l’endroit des Palestiniens questionne. « 200 Palestiniens réfugiés en France contre 70 000 Ukrainiens, on est en droit de se poser des questions sur la façon dont les autorités agissent », relève Véronique Hollebecque, membre active de l’Association France Palestine (AFPS). Et la militante, ancienne fonctionnaire, de citer le cas de la famille Abu Shamla. Le père, Ahmed, qui était agent de l’Institut français de Gaza, était sur la liste pour être rapatrié en France tout comme son épouse et deux de ses enfants, contrairement aux quatre aînés. Le père, qui n’a pas voulu laisser le reste de sa famille, s’est fait tuer le 16 décembre à Rafah, par une frappe israélienne. Depuis, les aînés ont été rapatriés en France…Une gestion chaotique et soumise au bon vouloir d’Israël. "Oui, on voit que c’est Israël et l’Egypte qui ont le dernier mot sur la liste des rapatriés", explique V.Hollebecque. Le consulat de France sur place propose des noms pour évacuation aux autorités de ces pays, lesquelles valident ou non.
Un modus operandi étonnant tant les conditions à remplir pour rejoindre cette liste semblent discrétionnaires et questionnent le statut même de réfugié. Au centre de cette armature administrative, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA), créée en 1952 et rattaché depuis 2010 au ministère de l’Intérieur. Concernant les Palestiniens en provenance de Gaza, l’incertitude plane et avec la précarité de leur situation. "Ils sont dans une espèce de flou puisque certaines personnes évacuées ne répondent pas aux critères du Ministère de l’Intérieur alors que d’autres profils qui répondraient ne sont pas évacués… ", s’agace V. Hollebecque. Une situation kafkaïenne que la militante attribue, en creux, au ministère de l’Intérieur, à cran sur les questions d’immigration extra-européenne. Car là encore, l’intuition ne vaut pas loi. Reste, que "le double standard" dont parle V.Hollebecque est largement documentable. "On ne comprend pas cette approche. Contrairement aux Ukrainiens, les Palestiniens, ce n’est pas l’Europe et ils sont musulmans", lance-t-elle, un brin acerbe.
La question du suivi socio-médical illustre cet accueil à double-vitesse qui ne dit pas son nom. Comme le souligne l’AFPS, un arsenal solidaire avait été mis en place pour la population fragilisée ukrainienne tandis que les Gazaouis, confrontés à une guerre de haute intensité, sont abandonnés à leur destin. Si Véronique Hollebecque comprend les mesures mises en place pour les Ukrainiens, elle regrette ce "double-standard" et plaide pour l’octroi aux Palestiniens du dispositif de la protection humanitaire à titre temporaire, accordée le 4 mars 2022 aux Ukrainiens arrivés en France. Un îlot de stabilité pour des populations traumatisées avec à la clé un titre de séjour d’une année, un accès au logement ou au marché de l’emploi. En attendant, la décision de la Cour nationale du droit d’asile (sorte de Cour de cassation de l’OPFRA) devrait faire bouger quelques lignes. Le 12 février, elle accordait l’asile à un ressortissant de Gaza, attendu qu’il était exposé à "un risque réel de subir une menace grave contre sa vie ou sa personne. Cette militante veut croire à la victoire des droits de l’Homme sur les contingences politiques du moment…
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