Un accord a été signé entre l’Etat et la grande distribution pour faire baisser les prix de 15 à 20% sur 6 à 7000 produits, a annoncé jeudi la Préfecture de Martinique. L’accord a été rejeté par le RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéens), à l’origine des manifestations pour dénoncer les prix exorbitants de l’alimentaire en Martinique. Après une manifestation ce samedi qui a réuni plusieurs milliers de personnes, le mouvement annonce la reprise des barrages dès lundi.
Le RPPRAC explique son opposition par le fait que l’accord ne sera mis en place qu’en janvier prochain et pour 36 mois seulement. Enfin, il ne concerne que 6000 produits pour 40 000 références en moyenne dans un supermarché. Le RPPRAC demande un accord sur tous les produits alimentaires.
Mardi dernier, le mouvement contestataire proposait sur les réseaux sociaux en direct un point d’étape sur les négociations en cours. Les messages qui s’affichaient sur TikTok pendant le direct interpellait: “c’est un tournant pour le peuple noir ! Le peuple vous soutient’, ils veulent nous censurer comme en Kanaky !” Ces messages révèlent une forte colère mais on s’éloigne de la seule revendication contre la cherté de la vie.
Pour Justin Daniel, la colère actuelle est révélatrice d’un malaise très profond. “Si la loi statue qu’il y a une égalité entre la métropole et l’outre-mer, on n’y est toujours pas. Si on ajoute à cela une pauvreté endémique et un chômage important avec une partie de la population qui reste tributaire des minima sociaux, on se retrouve alors avec une population qui a 500 ou 600 euros par mois dans un pays où la vie est chère.”
Selon l’Insee, en 2021, le taux de pauvreté était de 26,7% en Martinique.
Un passé colonial mélangé à un état providence
Le RPPAC dénonce dans ses manifestations un système économique hérité du passé colonial. La grande distribution, les transporteurs sont aux mains de descendants de colons dit le collectif.
Justin Daniel nuance. “On est dans une société où le passé colonial chevauche la réalité d’un Etat providence qui n’a pas donné tout son potentiel et c’est un système qui a perpétué les hiérarchies sociales raciales héritées du colonialisme et de l’esclavage.”
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Pourtant l’Etat français a multiplié les lois de programmation pour stimuler la croissance dans les territoires d’Outre Mer. La première a été votée en 1960 et la fameuse taxe de l’octroi de mer sur les produits importés devait aider à financer le développement de l’économie locale. Quatre fonds européens sont également versés aux territoires d’Outre-mer. Selon la direction générale des Outre-mer, la Martinique a reçu 801 millions d’euros entre 2014 et 2020. .
Le politologue antillais répond que toutes ces mesures n’ont rien changé parce qu’elles n’ont pas cherché à changer la structure économique de la Martinique. “L'octroi de mer alimente le budget des collectivités mais n’a pas financé le développement d’une économie locale. Il a même alimenté la dépendance aux importations puisque plus on importe, plus cela alimente le budget des communes et collectivités.”
Dans un rapport parlementaire de juillet 2023 sur l’autonomie alimentaire des outre-mer, les auteurs écrivaient: “Entre 1995 et 2011, la dépendance des outre-mer aux importations est passée de 54% à 71%. (...) Cette dépendance est renforcée par un modèle agricole intensif, destiné à l’exportation de denrées alimentaires (canne à sucre, rhum, bananes, ananas…).
La Martinique importe quasi tout ce qu’elle consomme
Justin Daniel salue le protocole d’accord signé par la grande distribution qui baisse les prix en diminuant la TVA et la taxe de l’octroi de mer pour 36 mois, mais il faut mettre à profit ce temps pour lancer un vrai travail de fonds, dit-il. Il faut changer de modèle économique, il faut renforcer l’autonomie alimentaire en aidant les petits agriculteurs, sortir de la monoculture. “Est-il normal que ce soit les grands planteurs de bananes qui bénéficient de la grosse partie des fonds européens ?”, questionne-t-il.
Si le diagnostic et son traitement sont posés, Justin Daniel souligne la difficulté à faire bouger les lignes. “Nous sommes dans une économie de rente” qui profite à certains groupes de pression, mais aussi à certains politiques qui ne veulent pas changer. Le politologue conclut que “le changement est désormais la responsabilité de tous, politiques, monde économique, et consommateurs qui doivent changer leurs habitudes et privilégier les productions locales”.
Ce n’est pas la première fois que la Martinique est secouée par des émeutes contre la vie chère. En 2009, l’île a été paralysée pendant 44 jours. Même si la mobilisation était beaucoup plus importante et a suscité beaucoup d’espoir, rien n’a changé finalement.