L'ultra-sionisme : l'outil stratégique du RN pour la conquête du pouvoir
Depuis sa création, le Rassemblement national a radicalement fait évoluer son rapport au sionisme, adoptant progressivement une rhétorique marquée par une stratégie de dédiabolisation dont la pierre angulaire est le soutien inconditionnel  à Israël
 Rentrée du Rassemblement national / Photo: AFP (AFP)

Jusqu’où ira le Rassemblement National (RN) pour entériner son opération de dédiabolisation ? À la faveur de l’agression d’Israël au Liban, le député RN Julien Odoul, a donné une réponse claire : aussi loin que Netanyahu le voudra ! En réaction à la déclaration d’Emmanuel Macron en Conseil des ministres rappelant qu’Israël a été fondée sur décision de l’Onu en 1948, l’élu d’extrême-droite a en effet assuré sur son compte X – avec l’inculture qui le caractérise - qu’Israël existe depuis 3 000 ans, invoquant l’édification du temple de Salomon. De son côté, le porte-parole du parti d’extrême-droite, Laurent Jacobelli, a affirmé le 26 octobre sur la chaîne Cnews, “qu’Israël est la victime et non la coupable” dans la guerre au Liban. Mais derrière ses sorties aux allures tragi-comiques, se cache en réalité une stratégie politique mûrement réfléchie qui consiste à donner tous les gages nécessaires au Crif, principal promoteur d’Israël en France. Cette tactique a été initiée en 2015, suite à l’exclusion de Jean-Marie Le Pen de l’ex-Front National, dont l’antisémitisme virulent était un frein à l’accession au pouvoir de sa fille Marine.

De la haine des juifs à l’amour d’Israël

Fondé notamment par des anciens Waffen-SS, le Front national, devenu aujourd’hui le Rassemblement national, a toujours suscité des débats controversés concernant son rapport aux Juifs et à l’État d’Israël. Connu pour son antisémitisme virulent, Jean-Marie Le Pen maintenait en effet sous son règne une distance critique vis-à-vis de l'État sioniste, tout en voulant nouer un lien avec ses dirigeants. Durant cette période, la formation d’extrême-droite adoptait ainsi une idéologie nationaliste traditionnelle marquée par un racisme et un antijudaïsme radicaux. Plusieurs intellectuels et chercheurs, à l’instar de Pierre Milza, ont souligné cette ambivalence dans les premières années du FN, notant une rhétorique qui oscillait “entre une hostilité à l’encontre des juifs et d’Israël et une instrumentalisation de la question palestinienne à des fins politiques internes”.

Contacté par TRT Français, le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’histoire de l’extrême-droite, estime pourtant que le rapport du RN à l’État d’Israël n’a pas fondamentalement évolué. “Bien avant que Marine Le Pen ne prenne la présidence du parti, Jean-Marie Le Pen lui-même, malgré ses déclarations anti-juives, avait essayé de se rendre en Israël. Un certain nombre de députés du Front National étaient d'ailleurs venus en éclaireurs en Israël pour essayer de rencontrer des parlementaires israéliens”, rappelle Camus. Il ajoute que sa démarche “avait évidemment capoté parce que les déclarations de Jean-Marie Le Pen étaient inacceptables pour les dirigeants israéliens, mais cette tentative de rapprochement, prouve qu'il n'était pas opposé à l'existence d'Israël. Il avait comme positions celle des deux États. Un positionnement que Marine Le Pen a suivi, sauf qu’aujourd’hui elle manifeste davantage un soutien inconditionnel à Israël, surtout depuis le 07 octobre 2023”.

La transition sous Marine Le Pen : un repositionnement stratégique

Le géopolitologue Adlene Mohammed n’est pas du même avis, il assure à TRT Français que le RN a bel et bien opéré un tournant radicalement pro-israélien sous la présidence de Marine Le Pen. “Je pense qu’il y a trois facteurs principaux qui expliquent ce parti pris. D’abord, il y a l’influence d’Aymeric Chauprade, géopoliticien qui a été son conseiller pour les questions internationales jusqu’au début de l’année 2015. En 2014, il a suggéré au FN de ne pas voter en faveur de la résolution socialiste portant sur la reconnaissance d’un État palestinien à l’Assemblée nationale. Il défendait l’idée d’une convergence entre Israël et l’Europe occidentale face à l’islam politique – insinuant que la cause palestinienne n’était plus nationale mais religieuse. Ensuite, il y a l’idée selon laquelle un soutien inconditionnel apporté à Israël était le meilleur moyen de démentir toute accusation d’antisémitisme. Ce qui fonctionne sur le plan communicationnel, mais qui est complètement fallacieux : l’antisémitisme s’accommode parfaitement des sympathies pro-israéliennes.”

Le chercheur ajoute que ces positions pro-israéliennes s’insèrent doublement dans la stratégie du RN : “d’un côté, cela permet de s’aligner sur une position majoritaire sur la scène politique française ces dernières années ; de l’autre, cela s’insère dans une rhétorique de plus en plus identitaire et de moins en moins souverainiste qui fait de “l’Occident” un bloc menacé par un islam politique qui serait au cœur de la question palestinienne – ce qui permet ainsi de transformer des victimes de spoliations en potentiels bourreaux.”

Jean-Yves Camus relativise de son côté le nouveau positionnement de Marine Le Pen concernant Israël. Il se rapprocherait selon lui de celui de la politique étrangère française, à savoir celle d’une solution à deux États. “Sur le fond, Marine le Pen est sur la même ligne que le Président de la République, qui dit que la reconnaissance de l'État palestinien n'est plus un tabou pour la France, tout en ajoutant qu’il ne faut pas le faire sous le coup de l'émotion, à la différence près qu’elle n'a pas appelé au cessez-le-feu à Gaza.”

Un philosémitisme appuyé qui cache un antisémitisme persistant ?

Depuis son arrivée à la tête du parti populiste, Marine le Pen n’a eu de cesse de vouloir donner des gages de respectabilité à la communauté juive de France. Pour Adlene Mohammedi, ce tropisme communautaire pourrait cacher un antisémitisme enfoui. “Le philosémitisme de Marine Le Pen implique l’attribution de caractéristiques précises à une population diverse ce qui cache souvent une forme d’antisémitisme. […] Il y a toujours eu des sympathies pro-israéliennes teintées d’antisémitisme. Et il se trouve qu’un Netanyahu semble clairement préférer l’antisémitisme pro-israélien à des mouvements de gauche à la fois hostiles à l’antisémitisme et à sa politique génocidaire.”

Ainsi, l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti xénophobe en 2011 a marqué un tournant significatif dans la position du RN vis-à-vis d’Israël. Souhaitant rompre avec l’image antisémite de son père et rendre le parti plus fréquentable, Marine Le Pen a tenté de repositionner le RN comme un défenseur de la souveraineté nationale et de la lutte contre l’islamisme radical, souvent présenté comme une menace commune par les partisans d’Israël.

Pour ce faire, elle a multiplié les déclarations soutenant “le droit d’Israël à se défendre”, tout en critiquant violemment les mouvements palestiniens comme le Hamas qu’elle qualifie de “terroriste”. Cependant, ce repositionnement n’a pas été sans critiques. De nombreux intellectuels et observateurs politiques d’origine juive ont pointé du doigt ce qu’ils perçoivent comme une instrumentalisation cynique de la question israélo-palestinienne. L’historien Michel Winock a en effet noté que ce virage pro-israélien pourrait être interprété comme “une tentative de séduction des électeurs juifs et de légitimation du RN sur la scène politique nationale et internationale.”

Certains chercheurs comme Nonna Mayer ont aussi souligné les tensions internes que ce repositionnement a pu créer au sein du RN, entre une base militante encore marquée par l’antisémitisme historique du parti et une direction désireuse d’épouser un soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël qu’elle juge déterminant pour son accession au pouvoir.

TRT Francais