L’Union européenne cherche la solution miracle qui rendrait la gestion des migrants inodore et incolore. L’heure européenne est manifestement à un durcissement du droit d’asile et des conditions d’admission puisque réunis en Conseil européen ce jeudi 17 octobre à Bruxelles, les Vingt-Sept ont acté l’accélération de la mise en œuvre du Pacte asile et migration, tout en renforçant la lutte contre l’immigration illégale.
Et c’est là que Georgia Meloni, la première ministre italienne, un temps montrée du doigt pour ses idées d’extrême-droite, retient l’intérêt de ses partenaires européens.
En vertu d'un accord décrié par de nombreuses ONG, 16 migrants arrêtés en mer ont été transférés dans un centre de rétention en Albanie par la marine italienne. Il s’agit de dix Bangladais et six Égyptiens. C’est dans ce pays situé hors de l’Union européenne (UE) qu’ils attendront que leur demande d’asile soit traitée. Si elle est refusée, ils seront mis dans un autre centre de détention avant leur expulsion vers leur pays d’origine.
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, écrivait lundi aux 27 pays membres de l’UE pour promettre un nouveau texte pour faciliter le retour (la directive sur le retour date de 2008), et citait la pratique italienne comme une des pistes à étudier.
La cheffe de la Commission évoquait dans cette lettre la nécessité de réviser les conditions d’attribution de l’asile, les unifier en Europe et trouver des accords avec des pays tiers “sûrs” hors des frontières de l’UE où les migrants seraient placés dans des “centres de retours” et sous-traiter les demandes d’asile comme le fait l’Italie avec l’Albanie.
Arrivée au pouvoir il y a deux ans, la cheffe de Fratelli D'italia, a fait de la lutte contre les migrants son cheval de bataille. L’Italie avec la Grèce et l’Espagne sont les principaux points d’entrée des migrants dans l’espace européen.
Vague anti-migrants en Europe
Le président du Conseil européen ne voulait pas mettre l’immigration à l'agenda de cette réunion. Il a dû s'y résoudre devant la bronca de plusieurs États membres. Certains demandent une entrée en vigueur dans l'immédiat du pacte migration et asile voté en avril dernier et surtout une définition plus stricte et commune des conditions de l’asile.
L’Europe est bousculée par plusieurs pays européens qui ont pris unilatéralement des mesures anti-migrants. La réintroduction de contrôles aux frontières et l’expulsion de demandeurs d’asiles, notamment vers l’Afghanistan, décidées par Olaf Scholz, le Chancelier allemand, après l’attentat à l’arme blanche de Solingen fin août, a créé un choc.
L’Autriche avec sa nouvelle majorité d’extrême droite promet de retirer la nationalité aux binationaux et de refuser tout migrant. Les Pays Bas veulent durcir l’asile. La France se prépare à discuter une nouvelle loi migration pour permettre plus d’expulsions notamment. La Pologne, qui accuse la Biélorussie de vouloir la déstabiliser en lui envoyant des migrants, a annoncé ce week-end suspendre l’application du droit d’asile, ce qui signifie qu’aucun migrant ne sera admis.
Peu de migrants entrent dans l’Union européenne
La date de publication n’est sans doute pas un hasard. Mardi 15 octobre, l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, annonçait une baisse de 42% du nombre de passages clandestins détectés aux frontières de l'Union européenne depuis janvier 2024, par rapport à la même période de l'an dernier. De quoi tordre le cou aux discours catastrophistes, quand on ajoute que l’Union européenne compte 450 millions d’habitants.
Plusieurs élus n’hésitent pas à s’exprimer pour dénoncer la montée du discours populiste. Fabienne Keller, députée française du groupe Renew (macroniste), ayant contribué à l’élaboration du pacte asile migration, intervient régulièrement dans tous les médias ces dernières semaines pour dénoncer le populisme opportuniste poussé par l’extrême-droite et qualifie d’irresponsable l’attitude de certains pays européens.
Pour elle, l’Union européenne a fait son travail. Le pacte asile migration, voté il y a six mois, doit désormais être mis en œuvre par les Etats membres, qui sont d’ailleurs les premiers à reprocher à l’Europe sa lenteur. En effet, les 27 doivent informer Bruxelles, d’ici fin décembre, de la manière dont ils comptent appliquer ce pacte: accueillir des migrants, ou payer une contribution pour leur gestion. Par la suite, il faut construire des centres de rétention pour accueillir ces migrants et gérer les demandes d’asile “aux frontières de l’UE”, explique l’élue.
Dans un post sur son compte X, Fabienne Keller indique que “ce qui est fort dans le pacte c’est qu’il introduit les mêmes règles pour tous et donc plus d’efficacité”. Ce texte introduit aussi une solidarité entre les 27 pour que la gestion des migrants ne soit pas laissée aux seuls pays d’arrivée.
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Un dévoiement des fondements humanistes de la construction européenne?
Damien Carême, député européen français de la France Insoumise n’est pas plus enthousiaste au sujet de l’agenda de ce conseil européen. Ancien maire de la commune de Grande-Synthe près de Calais, il avait accueilli 2 500 Syriens dans sa commune après 2011. “Le pacte Asile et migration ouvre la voie pour la construction de centres de rétention aux frontières de l’UE”, selon l’élu qui a bataillé contre ce pacte durant les débats au Parlement, “comme ce qui se fait en Albanie.”
Le texte prévoit en effet un traitement aux portes de l’UE des demandes d’asile. Pour certains élus européens, cela signifie en Grèce ou en Espagne, pour d’autres cela peut être en Tunisie et lors du Conseil européen de jeudi, certains chefs d'Etat ont parlé de "hubs", (centres) dans des pays tiers, ce qui a notamment fait grincer des dents le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez.
Damien Carême veut rappeler à ses collègues les Conventions de Genève, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’Homme votée en 1950 par le Conseil de l’Europe.
“Les valeurs humaines sont galvaudées aujourd’hui en Europe. Elle va de plus en plus loin contre l’immigration. C’est le signe d’une incompétence des politiques. Les chefs d’Etat veulent détourner l’attention des populations parce qu’ils n’ont aucune solution pour la crise de l’agriculture, ils vont même l’accentuer puisqu’ils vont signer le Mercosur (l’accord de libre-échange avec l’Amérique du sud) ou la crise climatique. La migration est un bouc-émissaire.”
Jordan Bardella, le président du Rassemblement national applaudissait en août 2024, “la fin du mythe d’une Europe sans frontières”, certains élus ont aujourd’hui peur d’une Europe sans limite.