Avec 31% des voix dans le Bas-Rhin et presque 36% dans le Haut -Rhin, Jordan Bardella est arrivé nettement en tête en Alsace. Deux villes font exception dans cette vague Rassemblement National: Mulhouse et Strasbourg ont placé la candidate LFI Manon Aubry en premier. Selon le conseil régional du culte musulman d’Alsace, la région française compte 200 000 musulmans turcs ou africains, soit 10% de la population. Alors comment ont-ils vécu ce résultat ? Si l’Alsace a toujours été à droite, et si le RN est implanté dans les régions rurales depuis longtemps, cette fois, même les villes moyennes ont vu le RN passer en tête du scrutin.
Saban Kiper, franco-turc de Strasbourg regrette la France de Mitterand et de Chirac. "Nous sommes à un tournant. Je ne voterai pas pour Emmanuel Macron cette fois. Nous les personnes issues de l'immigration, nous sommes victimes de la banalisation du discours de l'extrême droite. Le gouvervement Macron a fait passer la loi sur l'immigration et la loi contre le séparatisme qui nous stigmatisent."
Au sujet de la communauté turque de Strasbourg, il dit regretter qu'elle ne vote pas beaucoup lors des scrutins français, mais "je pense qu'il y aura un sursaut, cette fois-ci".
Dans la banlieue nord de Strasbourg, Schiltigheim compte avec ses nombreux quartiers populaires et logements sociaux une importante population musulmane. Le centre Andalous y gère un lieu de culte et une école où on peut apprendre l’arabe. Messaoud Boumara est l’imam de la mosquée et le recteur du centre Andalous à Schiltigheim.
Il admet que la situation inquiète les personnes qui fréquentent le centre. Il a observé deux réactions depuis le 9 juin, la peur ou la stupéfaction. “Depuis cette date, je sensibilise les gens, je les appelle à voter. On a multiplié les appels à aller voter le 30 juin et 7 juillet. J’en ai même parlé lors d’une prière du vendredi”. L’imam reconnaît que dans les quartiers populaires il y a un discours défaitiste, un discours de rejet vis-à-vis de la politique. “Mais nous n’avons pas d’autre choix que le bulletin de vote, c’est un droit mais c’est aussi un devoir”, insiste l’imam. “Je le considère comme un devoir spirituel, l’Islam nous demande d’être un acteur positif dans la société.”
Message omniprésent: le 30 juin, il faut aller voter
Cronenbourg, un quartier de la ville de Strasbourg a placé Manon Aubry en tête le 9 juin dernier, dans certains bureaux de vote 68% des voix sont allées à la candidate LFI. Un score à nuancer au regard d’une abstention au-delà de la moyenne nationale avec parfois 60 % d'abstention. "Aujourd’hui la jeunesse se mobilise plus que pour d’autres élections.
Sur les réseaux sociaux, il y a de nombreux appels à aller voter mais si au second tour, le candidat de la gauche n’est pas présent, pas certain que les électeurs de Cronenbourg vont se déplacer", nous confie le responsable d’une association locale. Le candidat Nouveau Front Populaire qui est le patron du PS départemental Thierry Sother se présente face au député sortant de la majorité présidentielle Ensemble, Bruno Studer.
A 150 km de là, à Mulhouse, le résultat des élections européennes avait la même couleur, la France Insoumise est arrivée en tête. La vieille cité industrielle compte plus de 130 nationalités, et la montée du Rassemblement national n’y pas pas bien vécue. Aïcha est d’origine marocaine, elle est arrivée en France à l'âge de trois ans et enrage de ne pouvoir voter. Elle a déménagé il y a quelques mois et n’a pas pris la peine de s’inscrire dans sa nouvelle commune sur les listes électorales, surtout qu’au départ il ne devait y avoir que le scrutin européen en 2024.
Les jeunes se mobilisent sur les réseaux sociaux
“Autour de moi tout le monde dit “allez voter!”. Dans ma famille, mes frères et les belles-soeurs vont aller voter, c’est certain. Moi j’ai toujours voté depuis que je suis majeure, c’est la première fois que je ne vais pas voter et je suis déçue“, déclare Aïcha. A-t-elle peur ? Elle assure que non, elle a confiance en “le peuple français”, si les gens votent pour des partis à l'extrême, c’est aussi qu’ils sont déçus.”
A l'autre extrêmité de l'Alsace à Wissembourg, la communauté turque compte environ 300 électeurs. Murat Can du foyer culturel turc est né en France. Entrepreneur, il s'inquiète de la possible arrivée au pouvoir de l'extrême-droite: "Je n'ai pas peur, mais Bardella ce n'est pas sérieux, ce serait une catastrophe." Il point du doigt le programme économique du RN qui n'est pas crédible selon lui mais il note une forme de normalisation du RN: "Même dans la communauté turque on entend qu'après tout il faudrait essayer le RN. Les gens ont moins peur de Bardella que de la famille le Pen." Le Wissembourgeois admet qu'il a voté pour le camp d'Emanuel Macron aux dernières législatives mais là, "je ne le referrai plus. Cette dissolution n'était pas nécessaire." Il fait un autre constat, la communauté turque de sa commune s'implique de plus en plus dans les élections françaises. Il espère que ce sera le cas le 30 juin et le 7 juillet prochain.
La mobilisation politique pour faire barrage
Et enfin, il y a ceux qui se mobilisent à travers leur association, ou dans un parti politique. Noureddine Alouane fait partie de ceux-là. Il est membre du collectif Agissons 67, un collectif de bénévoles qui aident les migrants et les sans-abris à Strasbourg. Depuis une semaine, sa page Facebook affiche les couleurs du nouveau Front Populaire.
Il a posté une réponse aux déclarations racistes qui assimilent migration et délinquance. “Mon prénom veut dire “lumière de la religion”. Mon métier: conseiller en insertion. Ma réalité: un master en droit des assurances. Je fais partie de l’écrasante majorité de Français ayant des origines étrangères qui n’a ni casier, ni même un interdit bancaire”. Il liste alors les succès de ses frères et sœurs qui ont tous fait des études et occupent des postes de responsabilité. Il souligne la richesse que représente le fait de grandir dans un quartier populaire, selon lui, c’est de là que viennent ses valeurs de tolérance.
Un cliché sur les Arabes lui colle à la peau, concède-t-il, il a bel et bien souffert de propos racistes et humiliants en tant qu’élève ou lors de ses recherches d’emplois. Alors aujourd’hui Noureddine s'investit dans la campagne du Front populaire et bien sûr il ne votera pas pour le RN.
En dehors des réseaux sociaux, de nombreux événements sont organisés dans les quartiers de la ville alsacienne “pour une mobilisation collective contre l’extrême-droite”. Une affiche au fond rouge montre un point serré. “Nous, quartiers populaires, on se déchaîne contre le R(Haine).” Reste à attendre le 30 juin pour voir si la mobilisation est suffisante pour empêcher une majorité de l’extrême-droite à l’Assemblée nationale.