Le réseau dédié à la démocratie en Afrique “Tournons la page” et le Centre de recherches internationales de Sciences Po (Ceri) viennent de publier un rapport intitulé “De quoi le rejet de la France en Afrique est-il le nom ?“.
Ces deux organismes se sont basés sur des entretiens avec plus de 500 activistes des droits humains dans six pays (Niger, Bénin, Gabon, Cameroun, Côte d’Ivoire et Tchad).
Il en ressort un désaveu “massif, presque unanime” de la politique française en Afrique.
Pour les auteurs, la France nage encore en plein décalage avec la réalité. Elle, qui perçoit encore le concept de “sentiment anti-français” comme l’expression “de vastes campagnes de manipulations et de désinformation, orchestrées en sous-main par des puissances concurrentes et malveillantes (...)”.
Ces “manipulations” et ce “sentiment“ expliqueraient entre autres les ruptures militaires et diplomatiques entre la France et plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Niger), et la remise en cause générale de sa présence (militaire mais aussi économique et diplomatique) dans ses anciennes colonies.
Les entretiens révèlent que “dans ces réseaux militants, le rejet de la politique française en Afrique est massif, presque unanime”, mais aussi que “les prismes de lecture de ces militants africains sont en profond décalage avec les discours dominants dans les médias français“.
“Elle (la France, ndlr) ne cesse d'exercer son influence et de s'immiscer dans la gouvernance des ses anciennes colonies, même après leur indépendance, souvent par le biais de politiques et d'actions qualifiées de néo-coloniales”, dénonce dans une interview à TRT Français, Jean Marc Bikoko, point focal de Tournons la page au Cameroun.
Au plan économique, la France est encore perçue comme “une puissance prédatrice et dominatrice, même si le poids réel des entreprises françaises dans les économies contraste avec les affirmations des activistes”, souligne le rapport.
Le poids réel du chiffre d’affaires des entreprises françaises dans le PIB des pays est pourtant en net recul : 18% au Gabon contre 3% au Bénin et au Tchad, 8% au Cameroun…
La question du Franc CFA
Le Franc CFA est unanimement reconnu comme étant un obstacle majeur à la souveraineté monétaire des États. Malheureusement, déplore Jean Marc Bikoko, le Franc CFA, quoique rattaché à l’euro, est géré et produit par la France. Les Africains continuent de le considérer comme un instrument de domination économique et de néo-colonialisme”.
L’activiste soutient ”qu' il faut une négociation vraiment assez objective et rationnelle pour que cette monnaie soit gérée et contrôlée par les pays africains concernés”.
Au sujet de la sécurité, souligne l’étude, “l’opinion dominante considère que les États africains ont la capacité à répondre à ces défis, à la condition que leurs armées soient correctement formées et surtout équipées”. Beaucoup d’activistes estiment que la France a failli à aider les pays africains à assurer leur sécurité.
L’amélioration de cette relation historique entre la France et l’Afrique passe, selon l’activiste, par des actions concrètes. ”Il s'agit impérativement de la reconnaissance des injustices et des violences de la période coloniale assortie des excuses officielles”.
“Il importe aussi de respecter la souveraineté des Etats africains en évitant toute ingérence et immixtion dans la gouvernance et la gestion des problèmes et crises dans ces pays et la redéfinition des relations économiques et diplomatiques et la promotion des partenariats équitables. Ces partenariats doivent être gagnant gagnant”, conclut Jean Marc Bikoko.
Du reste, l'étude de Tournons la page et centre de recherche Sciences Po-CERI formule sept recommandations pour des relations harmonieuses entre la France et l’Afrique. Paris devrait se départir de “sa vocation africaine” comme condition à sa “grandeur internationale”, se mettre en retrait “militairement et diplomatiquement” tout en acceptant de devenir un partenaire parmi tant d’autres et mettre les droits de l’homme et la démocratie au centre de sa politique étrangère.
L'étude recommande aussi à Paris “le respect de l'indépendance et de la souveraineté des peuples”, l’ouverture en France d’un débat sur la “refondation de la politique étrangère en Afrique”, “privilégier les approches multilatérales sur les questions sécuritaires, environnementales et économiques”.
Lire aussi: Pourquoi l’Afrique repousse-t-elle la France ?