La guerre fragilise l'économie palestinienne et accentue l’emprise d’Israël, alertent des analystes
L’économie palestinienne est très dépendante d’Israël selon des mécanismes provisoires conçus dans la perspective de l’avènement d’un État palestinien. Mais, le provisoire “s’éternise” et la guerre accentue l’emprise d’Israël, d’après des analystes.
Des marchandises quittent la bande de Gaza via le terminal commercial de Karm Abu Salem, en direction de la Cisjordanie et d'Israël, le 10 septembre 2023. / Photo: AA (AA)

En mauvaise passe depuis des années, l'économie palestinienne s'enfonce encore davantage à cause de la guerre dans la bande de Gaza, qui accélère sa très forte dépendance à Israël.

"Techniquement, il n'y a pas d'économie palestinienne sous occupation israélienne", juge Adel Samara, un économiste basé à Jérusalem. "Notre économie a été annexée par Israël".

L'économie palestinienne est en effet largement encadrée par un ensemble de règles convenues entre Palestiniens et Israéliens, et couchées dans les protocoles de Paris, signés en 1994.

Comme les accords d'Oslo dans le cadre desquels ils ont été signés, ces textes étaient censés s'appliquer cinq ans, jusqu'à la création d'un État palestinien.

Promesse non tenue : l'économie reste tributaire d'une feuille de route qui, au fil du temps, s'est révélée de plus en plus inadaptée.

"Notre économie est handicapée", commente encore M. Samara qui liste les entraves bureaucratiques rencontrées par les entrepreneurs palestiniens pour s'installer, le contrôle des ressources par Israël, les contraintes pour développer l'agriculture ou même le tourisme...

La guerre à Gaza a permis à Israël de resserrer son emprise sur l'économie palestinienne, utilisant des dispositifs préexistants, regrette M. Samara.

- "Crise financière sans précédent" -

Ces textes de 1994 confèrent, par exemple, à Israël le contrôle exclusif des frontières palestiniennes et de la collecte des taxes à l'importation, qu'il doit ensuite reverser à l'Autorité palestinienne.

Ainsi, au lendemain de l’incursion du Hamas du 7 octobre, Israël a cessé de reverser l'intégralité de ces recettes douanières, arguant refuser de financer le mouvement palestinien Hamas.

Outré, Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, a refusé de recevoir le reliquat. La Norvège, qui mène une médiation, a annoncé, en février, que quelque 115 millions de dollars (108 millions d'euros) avaient finalement été décaissés par Israël.

Mais la crise n'est pas résolue

À plusieurs reprises déjà, Israël avait suspendu ces transferts. Selon certains économistes, ces sommes représenteraient près de 60% des revenus de l'Autorité palestinienne.

Sans ces fonds, celle-ci est "en difficulté pour payer les salaires de ses fonctionnaires et pour ses dépenses courantes", rappelle Taher Labadi, chercheur en économie politique à l'Institut français du Proche-Orient.

Le premier ministre palestinien, Mohammed Mustafa, déplore une "crise financière sans précédent", avec un trou de sept milliards de dollars (environ 6,5 milliards d'euros) dans l'exercice fiscal courant, soit plus d'un tiers du PIB des Territoires palestiniens.

Sous prétexte de renforcer la "sécurité" d'Israël, 130.000 Palestiniens ont été privés de permis de travail, les laissant sans revenus.

Plus d'un actif sur trois est au chômage en Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967, où vivent trois millions de personnes. Deux fois plus qu'avant la guerre.

"En interdisant aux travailleurs palestiniens d'entrer en Israël et en retenant les taxes palestiniennes", Tel Aviv vise "à saper l'Autorité palestinienne parce qu'il la considère comme un ennemi", juge le chercheur israélien Michael Milshtein, spécialiste des questions palestiniennes.

M. Milshtein estime, à partir de données israéliennes, que jusqu'au 7 octobre, près d'un tiers des revenus de la Cisjordanie provenaient des salaires des 193.000 Palestiniens travaillant en Israël.

- "Punir collectivement" -

Selon lui, seuls quelque 8.000 Palestiniens travailleraient légalement désormais en Israël. Israël vise aussi à "punir collectivement les Palestiniens qu'il considère également comme des ennemis", accuse Michael Milshtein.

Certaines personnalités politiques israéliennes, comme le ministre Benny Gantz ou le député Gideon Saar, veulent permettre aux travailleurs de revenir en Israël afin d'éviter, selon eux, un soulèvement en Cisjordanie qui compliquerait davantage la tâche des forces israéliennes déjà déployées dans la bande de Gaza et à la frontière avec le Liban.

"Benjamin Netanyahu met les Palestiniens sous pression et montre à l'Autorité que les leviers de son économie sont entre ses mains", résume Nasser Abdel Karim, professeur d'économie à l'Université arabe américaine de Jénine.

"Il pense qu'il affaiblira l'Autorité et lui fera accepter des concessions politiques", poursuit-il.

"Le gouvernement israélien veut d'autant moins une autorité forte, qu'il ne souhaite pas qu'elle ait un rôle central à l'issue de la guerre" à Gaza, résume-t-il.

L'universitaire ne juge pas cette stratégie payante, car selon lui, elle repose sur le principe selon lequel la pacification de la Cisjordanie passerait par sa prospérité.

Or "les précédents soulèvements ont éclaté alors que la situation économique n'était pas particulièrement difficile", note-t-il.

"Les Palestiniens veulent vivre dans la dignité certes, mais pour eux cela implique aussi la libération de leur peuple et la création d'un État palestinien."

TRT Français et agences