Entre inflation galopante, chômage rampant, endettement progressif, corruption insidieuse et une situation humanitaire préoccupante, les défis sont immenses pour le nouveau président.
William Ruto, 55 ans est officiellement depuis ce 13 septembre 2022, le 5ème président du Kenya depuis son indépendance en 1963. Il a prêté serment devant la Cour Suprême à Nairobi, en l'absence de son malheureux challenger à la présidentielle, Raila Odinga, 77 ans, qui n'a été distancé que de 233 000 voix. Ruto, vice- président sortant, est crédité de 50,49% de suffrages contre 48,85% à Odinga, recalé ainsi pour la cinquième fois pour l'accession à la présidence, alors qu'il était soutenu par le président sortant.
Le temps presse et visiblement William Ruto n'aura pas d'état de grâce, eu égard aux attentes élevées de la population à l'ampleur et à l'urgence des défis économiques et humanitaires.
L'atmosphère est déjà alourdie par une inflation galopante qui, en août dernier, a atteint 8,3% contre 7,5% en 2021. L'ambition était pourtant de la ramener à 5,5% cette année, d'après la Banque mondiale.
La hausse des prix du pétrole a entraîné le renchérissement des matières premières. L'ugali, le plat national, une pâte à base de farine de maïs est devenue moins accessible pour le commun des Kényans.
Le pays paye ainsi cash les conséquences du conflit entre la Russie et l'Ukraine. Ces deux pays fournissent au Kenya l'essentiel de sa consommation de céréales (blé et maïs).
De plus, la sécheresse qui s'est emparée d'une bonne partie du pays, impacte négativement la production agro-pastorale (22% du PIB). A cela, il faut ajouter le renchérissement et la rareté des engrais (importés d'Ukraine et de Russie). William Ruto a, au cours de sa campagne électorale, promis des subventions pour ce secteur névralgique de l'économie kényane.
Conjoncture morose
Autre écueil pour le nouveau président, l'ogre du chômage alors que 75% de la population a moins de 35 ans. Chaque année, les universités kényanes déversent sur le marché de l'emploi près de 500 000 diplômés, sans que l'on ne sache comment les caser effectivement. D'après les chiffres de la Banque mondiale, l'on dénombre au moins 5 millions de jeunes chômeurs. Le secteur informel, en fait le véritable débouché, offre à lui seul 80% d'emplois.
Pour juguler le chômage, Uhuru Kenyatta, l'ancien président, avait misé sur la croissance impulsée par les investissements dans les infrastructures. Comme la modernisation du port de Mombassa où la construction du chemin de fer entre Nairobi et Mombassa. Une politique onéreuse qui a considérablement alourdi la dette du pays d'autant plus que le shilling, la monnaie locale, se déprécie régulièrement par rapport au dollar (une baisse de 5% depuis le début de l'année. 1 dollar s'échangeait à 120,45 shillings ce 13 septembre). Estimée par la Banque mondiale à 70 millions de dollars, le service de la dette représente aujourd'hui 67% du PIB Kenyan. La Chine étant le principal créancier bilatéral du Kenya.
C'est dire qu'entre 2013 et 2022, Nairobi a multiplié sa dette par quatre. Inquiète des risques de surendettement et des problèmes de soutenabilité de ces emprunts, Mary Goldman, la représentante de la Banque mondiale, n'a cessé d'attirer l'attention des autorités.
Si William Ruto a promis plus de transparence et de retenue dans la politique d'endettement vis-à-vis de la Chine en particulier, la corruption rampante est une préoccupation pour les milieux d'affaires.
Corruption rampante et président controversé
Dans le dernier rapport d'indice de perception de la corruption 2021 de Transparency International, le Kenya occupe encore le bas de l'échelle.
Nairobi est classé 128ème sur 180.
Et le nouveau président qui a bâti sa stratégie de campagne sur des clivages socio- économiques se présentant comme le candidat des "débrouillards", devra montrer l'exemple et donner un véritable coup de pied dans la fourmilière.
William Ruto est en effet précédé d'une réputation de corrompu. Excédé par les critiques de ce dernier pendant la campagne électorale, Uhuru Kenyatta, le président sortant, l’avait même traité de "voleur". A la tête d'un immense patrimoine amassé dans l'élevage, l'agriculture, l'immobilier et l'hôtellerie, le nouveau président n'a pas réussi à effacer les soupçons et accusations de corruption et d'expropriation de terre qui lui collent à la peau. Pas surprenant que ses détracteurs le qualifient de " roi de l'arnaque".
Qui plus est, le vice- président Kenyan Rigathi Gachigua a été condamné, juste avant la présidentielle, à rembourser une somme d'environ 1,7 million de dollars pour son implication dans une affaire de corruption.
Sécheresse et urgence humanitaire
Enfin, le nouveau président sera confronté aux rudes conséquences du dérèglement climatique. Le nord et une partie de l'est du Kenya subissent la pire des sécheresses depuis 40 ans. D'après l'ONU, au moins 2,5 millions de personnes sont déjà en situation d'insécurité alimentaire, alors que plus de 460 000 enfants de moins de 5 ans et au moins 90 000 femmes enceintes souffrent de malnutrition.
L'économie de ces régions arides du Kenya, qui repose essentiellement sur l'élevage, est fortement perturbée.
Au moins 50 % du cheptel de vaches a été décimé, faute d'eau et de pâturage. Même la faune sauvage n'est pas épargnée. Des carcasses de grands herbivores (girafes, buffles) sont régulièrement découvertes dans les réserves de faune. Les paysans sont même contraints de brader leur bétail pour survivre.
Comme réponse à cette "catastrophe nationale" dixit l'ancien président Kenyatta, Nairobi a ainsi créé l'Agence gouvernementale de gestion de la sécheresse ( NDMA). Financée par le gouvernement et la solidarité internationale, cette agence humanitaire souffre d'un réel déficit de financement.
C'est dire si les défis économiques et humanitaires auxquels sera confronté William Ruto sont immenses et pressants. Ils s'apparentent à l'ascension du mont Kilimandjaro, le plus haut sommet d'Afrique qui domine une partie du Kenya de sa stature royale.
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