Haïti: pics de violence depuis la nomination d'un nouveau Premier ministre
Les gangs lancent de multiples attaques à Port-au-Prince depuis la nomination d'un nouveau Premier ministre, Alix Didier Fils-Aimé. 40 000 personnes ont fui les violences. Le journaliste haïtien Rodly Saintiné analyse la situation pour TRT Français.
A Port-au-Prince, 40 000 personnes ont fui les attaques de gangs armés / Photo: Reuters (Reuters)

Le journaliste correspondant de Couleurs Tropicales-RFI en Haïti et animateur radio a dû fuir son domicile en 2021. Des hommes armés étaient venus le chercher à son domicile pour le tuer. Menacé de mort pour ses reportages, il est aujourd’hui réfugié en France.

Son pays compte 11 millions d'habitants mais n’a plus de président depuis 2021, aucune élection n’a eu lieu depuis 2016 et des gangs armés ont pris le contrôle de la capitale.

Lundi, ce fut une surprise pour beaucoup après des mois de tensions entre le chef de gouvernement Garry Conille et le Conseil présidentiel de transition. Alix Didier Fils-Aimé est nommé Premier ministre.

Pour Rodly Saintiné, cette nomination rime avec déception pour de nombreux haïtiens qui espéraient que le Premier ministre et le Conseil présidentiel trouveraient enfin une solution à la crise politique.

Après les scandales de corruption autour du programme Petrocaribe en 2018 (un programme d’aide de deux milliards de dollars financé par le Vénézuela qui a été dilapidé et dont la plupart des projets n’ont pas vu le jour) et l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, Haïti connaît une crise politique permanente.

“Ce nouveau Premier ministre, cela ne va rien changer. En Haïti, il y a des accords politiques pour se partager le gâteau mais il n’y a pas de programme pour résoudre les crises sécuritaire et humanitaire. Il y avait en 2023 plus de 600 000 déplacés en Haïti, 4000 personnes ont été tuées lors d’attaques et il y a aussi de nombreux kidnappings”, tient à rappeler le journaliste.

La violence a déplacé 702 000 personnes en Haïti

Selon le fonds des Nations unies pour la population en octobre 2024, il y a plus de 702 000 personnes déplacées qui ont dû fuir leur foyer pour se mettre à l’abri et près de 2 millions de personnes souffrent de la faim (insécurité alimentaire).

Rodly Saintiné dénonce sans ambage la classe politique et la classe économique qui sont, selon lui, responsables de la crise actuelle en Haïti.

Au fil de ses reportages, il a pu observer comment ils utilisent les gangs armés pour arriver au pouvoir ou pour assurer la sécurité de leurs biens. Ce sont eux, dénonce-t-il encore, qui ont affaibli l’Etat à tel point qu'aujourd'hui des gangs armés contrôlent la capitale du pays. “En 2018, la population est descendue dans la rue pour demander la démission du président Jovenel Moïse après le scandale du programme Petrocaribe, les gangs ont attaqué la population pour l’empêcher de manifester,” rappelle cet observateur qui accuse la classe politique et économique d’avoir affaibli année après année l'État haïtien.

”Ils ont tout fait pour nous amener dans cet abîme depuis Duvalier. Il n’y a plus de justice donc il y a impunité. La corruption a généré de la violence.” Il pointe du doigt le rôle des Etats-Unis qui ont exigé la démobilisation de l’armée en 1994.

L’économie de la violence rime avec trafic d’armes et de drogues dans ce pays qui n’est qu’à quelques miles marins des Etats-Unis. Les kidnappings sont monnaie courante. Les familles doivent payer un million de dollars en moyenne pour retrouver leur proche.

Le journaliste souligne que tout est impacté par cette violence. L’Artibonite, la principale région de production de riz en Haïti ne produit aujourd’hui presque plus cette céréale à cause de la présence des gangs. Port-au-Prince importe donc le riz qu’elle consomme alors qu’Haïti était auto-suffisant dans les années 70.

Une force d’interposition kenyane est en Haïti.

Une Mission multinationale d'appui à la sécurité a été créée cet été à la demande des Nations unies pour seconder la police haïtienne qui ne compte que 15 000 policiers pour 11 millions d’habitants.

Le Kenya qui a déjà déployé 600 policiers à à Port-au-Prince a promis d’envoyer 1000 hommes mais le journaliste ne pense pas qu’ils vont pouvoir mettre les gangs au pas.

“C’est encore une fois énormément d’argent comme les Casques bleus entre 2002 et 2017 et cela ne va rien changer. Si on consacrait cet argent à équiper la police. Elle a besoin de drônes, de véhicules, d’armes.” Il regrette surtout qu’on ne traite le cas haïtien qu’à travers le volet sécuritaire et soutient que la source de l’insécurité, c’est l’extrême pauvreté de la population.

Malgré son exil, il reste aux commandes de l’école des médias qu’il a créée et où il dispense ses cours en visio. Lorsqu’il dit “à demain” à ses étudiants, ils lui répondent “oui si on n’a pas reçu notre visa pour les Etats-Unis d’ici-là.”

Presque un million d’Haïtiens vivent aux Etats-Unis. Ils ont été stigmatisés par Donald Trump qui pendant sa campagne électorale a promis de renvoyer tous les migrants en situation illégale.

C’est une source d’inquiétude pour Rodly Saintiné car l’argent de la diaspora est souvent le seul appui financier de nombreuses familles en Haïti. “La République dominicaine tient le même discours que les Etats-Unis, son président a promis de renvoyer 10 000 Haïtiens chaque semaine.” 600 000 Haïtiens vivent en République dominicaine.

TRT Francais