Un déferlement de grossièretés qui laisse pantois : « Espèce d’abruti », « Ferme ta gueule », « T’es un naze », « Bouffon, va !». Ce jour de novembre 2022, Cyril Hanouna, l’animateur vedette du groupe Vivendi, appartenant au magnat de la presse Vincent Bolloré, s’est défoulé en direct à la télévision sur son invité, le député insoumis Louis Boyard, réélu à l’Assemblée nationale le 7 juillet dernier.
Raison de cette violente prise à partie menée par l’animateur de l’émission « Touche pas à mon poste » sur C8, l’élu LFI et ex-chroniqueur de TPMP avait simplement eu le tort de dénoncer l’omerta qui règne dans les médias du groupe Bolloré concernant les activités controversées du milliardaire français en Afrique. Cette agression violente d’un élu de la République a valu à la chaîne C8 une amende de 3.5 millions d’euros. Depuis, l’animateur, né de parents juifs de Tunisie, n’a eu de cesse d’afficher ouvertement sa proximité idéologique avec un patron à qui il voue une admiration sans borne. Une montée en grade qui atteint aujourd’hui son point d’orgue avec l’affaire révélée par le journal Mediapart attestant l’existence de photos récentes montrant le président du Rassemblement National, Jordan Bardella en compagnie de Cyril Hanouna dans sa nouvelle villa à Saint-Tropez. La figure de proue du RN aurait effectivement été invitée vendredi dernier dans la luxueuse propriété de 5000 M2 de la vedette de C8 et un paparazzi a réussi à immortaliser la soirée.
Mediapart révèle également que Mimi Marchand, papesse des photos people et proche du couple Macron, aurait récupéré ces images pour en empêcher la diffusion. En échange de ce « service », Mimi Marchand, déjà mise en examen dans l'affaire des financements libyens de la campagne de Sarkozy, a négocié des séances photos d'Hanouna à bord de son yacht. Ces clichés ont été publiés notamment par Nice-Matin, qui a récemment acquis Bestimage, l'agence de la même Mimi Marchand.
Hanouna ou le bouffon du roi populiste
L’ombre de Bolloré, accusé de propager l’idéologie d'extrême droite à travers ses médias phares Cnews et C8, plane sur cette affaire a priori anodine.
Dans son essai « Touche pas à mon peuple », paru au Seuil, l’historienne des médias Claire Sécail, chargée de recherches au CNRS, alerte sur la dérive populiste de l’émission « TPMP », animée et produite par Cyril Hanouna, qu’elle décrit comme « une entreprise de désinformation qui sape les termes de la conversation sociale et menace par extension les fondations de la démocratie ». Contactée par TRT Français, La chercheuse retrace ainsi la genèse de la stratégie Bollorré-Hanouna.
« À partir de 2020, on observe dans « TPMP » une porosité croissante entre C8 et CNews. L’importation de la ligne éditoriale de CNews sur C8 a en réalité commencé dès septembre 2018, via le nouveau talkshow « Balance ton post » (BTP) que produit Cyril Hanouna. Cette date marque, selon la chercheuse, le début de la contribution active du trublion du paysage audiovisuel français (PAF) dans le projet idéologique de son patron Vincent Bolloré. Claire Sécail ajoute que dès ses premiers numéros, l’émission a assuré « la promotion des thèmes sur l’insécurité, l’immigration, l’islam, le communautarisme », auxquels s’ajoutent des domaines « plus hanounesques » comme la sexualité et l’ésotérisme.
Les marqueurs d’extrême-droite se seraient ainsi multipliés depuis et auraient flatté les bas-instincts d’une partie du peuple français.
Lire aussi: France: CNews à nouveau à l’amende
Une tendance confirmée par l’émission On marche sur la tête diffusée sur Europe 1, un autre média du groupe Bolloré et que Cyril Hanouna a présentée pendant la période des élections législatives anticipées.
Chaque après-midi pendant 15 jours, l’animateur phare de C8 a ainsi abordé l’actualité en compagnie de ses chroniqueurs et accueilli diverses personnalités politiques. Cependant, selon le journal Le Monde, qui a décortiqué les 15 heures d’émission en direct, l’extrême-droite a été outrageusement favorisée. Des figures telles qu’Éric Zemmour, Robert Ménard, Julien Odoul et Marion Maréchal ont en effet occupé la grande majorité du temps d’antenne, affirment nos confrères qui ont qualifié l’émission de "propagande". Cyril Hanouna aurait ouvertement critiqué le Nouveau Front Populaire ou la gauche pendant 30 minutes, contre seulement 2 minutes et 30 secondes pour la majorité présidentielle. En revanche, les candidats du Rassemblement National n’auraient jamais été critiqués.
Toujours selon cette étude, le chroniqueur Gilles Verdez, soutien du Nouveau Front Populaire, a parlé en moyenne 2 minutes et 30 secondes par émission, ce qui est très peu comparé au temps de parole des autres chroniqueurs. Dans une séquence désormais supprimé, Cyril Hanouna l’a même accusé d'être "responsable de la montée de l'antisémitisme en France" et d’avoir une part de responsabilité dans un viol à caractère antisémite survenu à Courbevoie en juin dernier.
Une autre étude menée par le chercheur Julien Labarre a, quant à elle, révélé que sur l’année 2023, les bandeaux de la chaine Cnews ont parlé d’islam et d’immigration pendant 335 jours sur 365.
La première fusée Zemmour
Ainsi, l'influence du milliardaire Bolloré sur le paysage audiovisuel français suscite des débats sur l'indépendance des médias et leur rôle dans le paysage politique et le modelage de l’opinion publique. Son empire médiatique est en effet devenu en quelques années un véritable outil de propagande idéologique visant à promouvoir des agendas politiques spécifiques, a fortiori ceux du Rassemblement National (RN). Ces dynamiques ont été particulièrement observées lors des périodes électorales, comme lors de dernières législatives anticipées. Si bien qu’au lendemain de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, Éric Ciotti, leader des Républicains (LR), a selon le journal Le Monde, rendu visite à Vincent Bolloré qui lui aurait suggéré de s’allier avec Marine Le Pen pour les législatives du 30 juin et 7 juillet derniers. Éric Ciotti a par conséquent rompu des décennies de tradition gaulliste sans consulter les figures emblématiques de son parti, y compris Nicolas Sarkozy, le dernier président issu de sa mouvance politique. Une preuve, s’il en fallait, de la toute-puissance du milliardaire breton qui a bâti un empire médiatique tentaculaire avec l'objectif clair de favoriser une telle alliance.
À l'annonce publique de cette coalition, Éric Ciotti a suscité la colère des responsables LR mais a trouvé les relais médiatiques puissants de Vincent Bolloré pour soutenir sa démarche, Pascal Praud, l’animateur vedette de Cnews en tête.
Eric Zemmour a par ailleurs joué un rôle déterminant pour poser les conditions de cette recomposition politique. Et bien que la tentative présidentielle du patron de Reconquête ait échoué en 2022, son exposition médiatique par le groupe Bolloré a fait office de première fusée pour la stratégie de l’union des droites. Elle lui a en effet offert une tribune télévisuelle quotidienne lui permettant d’installer les thèmes de l'extrême droite tels que l'immigration, la criminalité et la menace prétendue de l'Islam, dominant ainsi le débat politico-médiatique. Son discours a indéniablement contribué à engendrer une confusion intellectuelle entre la droite traditionnelle et l'extrême droite, créant un contexte favorable à l’émergence d’une alliance xénophobe, le projet cher à Vincent Bolloré.
Dans une tribune publiée dans Le Monde, Alexis Lévrier, historien des médias à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, assure que l'objectif principal de Bolloré a toujours été « d'unifier la droite française et de la porter au pouvoir, ce qui implique de faire tomber les barrières entre la droite classique et l'extrême droite en trouvant des alliés, comme Éric Ciotti, capables de bâtir des passerelles entre ces deux factions » et ainsi façonner le paysage politique d'une manière qui favorise les intérêts du camp raciste et islamophobe.