Censure et menace: la sphère politique et médiatique françaises sous influence du lobby arménien
L'historien M. Gauin affirme que les revendications arméniennes en France sur les événements de 1915 sont utilisées comme outil politique, souvent avec des actes de censure et de menace, alors que l’Arménie elle-même ne soutient plus cette démarche.
 "Certains parlementaires français proposent des lois ou des résolutions en croyant que leur réélection dépend en grande partie de ce qu'ils appellent, à tort, le vote arménien"  Photo: Reuters (Reuters)

En France, les revendications des nationalistes arméniens à propos des évenements de 1915, structurées sous la forme d'un lobby, sont exploitées comme un outil politique pour des gains électoraux ou comme moyen de pression pendant les périodes de tension entre la Turquie et la France, selon Maxime Gauin, historien et chercheur au Centre d'études eurasiennes (AVIM), qui refuse de qualifier les événements de 1915 comme un "génocide".

Censure de tout discours opposé

"Certains parlementaires français proposent des lois ou des résolutions en croyant que leur réélection dépend en grande partie de ce qu'ils appellent, à tort, le vote arménien", affirme-t-il à TRT Français. Si, selon l’historien, le lobby arménien a perdu de sa force depuis 20 ans à cause des tensions internes extrêmes, tout discours remettant en question la version arménienne est censuré par la menace physique ou la menace de représailles professionnelles.

Il confie d’ailleurs être régulièrement ciblé par des intimidations. "Depuis 2008, je subis des menaces de mort avec un pic à l'automne 2020 qui correspond à la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan”. Un de ses articles a d’ailleurs été supprimé en 2021 sur le site Atlantico suite “aux menaces par des réseaux nationalistes arméniens de France à l'encontre du directeur de publication”. Des journalistes de Libération et de TF1, avaient, également, été publiquement menacés de mort. Un article avait, dans ce sillage, été retiré du site de Libération et un reportage supprimé du site de TF1 à cause de ces menaces.

"Il y a eu deux livres en tout et pour tout qui contestent la qualification de génocide arménien, et qui ont été traduits en français depuis 1991, un paru à Istanbul, et l'autre à Ankara. Personne ne peut reprocher à un Français ordinaire de ne pas aller jusqu'à Istanbul ou Ankara pour acheter un livre sur la question arménienne. Il y a tout un effort à faire avec les éditeurs en France pour que cela ne soit plus impensable de publier un livre", indique-t-il, critiquant la censure dans le milieu intellectuel. D’après Gauin, les menaces et les censures débouchent naturellement sur l’autocensure. "Gilles Veinstein, professeur d'histoire ottomane au Collège de France, a subi dur ant cinq ans, de 1999 à 2004, une campagne tellement violente qu'il ne voulait plus aborder ce sujet pendant les dernières années de sa vie", explique l’historien. Mais pourquoi tant de censure ? Gauin juge que le lobby arménien tire sa force du manque de poursuites contre les menaces et de la différence entre les efforts déployés par la diaspora arménienne et ceux de la diaspora turque. "Emine Cetin (organisatrice de la manifestation contre loi Boyer) a été menacée en 2012, au moment de l'affaire de la proposition de loi Boyer. Elle a porté plainte et la cour d'appel de Versailles a condamné assez lourdement ceux qui l'avaient menacé. Et ces gens-là ont disparu. Plus récemment, celui qui avait défoncé la porte de l'ambassade d'Azerbaïdjan à Paris, a été poursuivi et condamné. Et depuis, il est devenu plus prudent parce qu' il sait que s'il commet un nouveau délit, il ira en prison. Il n'y a eu que deux plaintes de ce genre en dix ans, là où il en aurait fallu plus. Les journalistes français auraient moins peur de donner la parole à des personnes qui critiquent les thèses du nationalisme arménien", relève-t-il.

L’historien reproche également aux associations franco-turques de ne pas être assez engagées pour contrebalancer le discours des nationalistes arméniens notamment dans les médias. "Il y a un seul pays au monde avec une forte immigration turque qui remonte aux années 60 mais où les associations ne se sont pas regroupées dans une structure commune. Ce pays, c'est la France. Aux Etats-Unis, en Allemagne, en Grande Bretagne il existe des structures communes. En France, tous les projets en ce sens ont échoué", déplore-t-il appelant toutes personnes concernées à avoir plus de courage pour combattre la censure.

Le gouvernement arménien abandonne ses revendications contre la Turquie

Si les revendications de "génocide" sont "historiquement fausses", aujourd’hui elles ne servent pas non plus les intérêts de l'Arménie, selon Gauin. Le gouvernement arménien ne mène plus cette politique de revendication territoriale ou financière contre la Turquie. "Désormais, le gouvernement arménien ne veut plus participer à ce genre de campagne, à ce genre de manipulation de l'histoire. Il cherche beaucoup plus rationnel, beaucoup plus logique à faire la paix avec ses voisins et à et à avoir une prospérité partagée", confie l’expert.

En juin 2023, dans le cadre d’un processus de normalisation entre la Turquie et l’Arménie, le premier ministre arménien Nikol Pashinyan a indiqué que son gouvernement avait gelé ses tentatives de faire accepter les prétendues allégations de génocide sur la scène internationale, et a appelé la diaspora arménienne à adopter la même attitude.

Mais certains Arméniens, notamment en France, se vouent encore à cette idée alors que l’Arménie même s’en détache. Pourquoi ? "En diaspora, l'élément identitaire a été particulièrement fort, l'Eglise arménienne est une Eglise nationale. La baisse de la pratique religieuse et l'assimilation culturelle ont créé une peur d'être complètement dilués et certains se définissent par le ‘génocide’" explique-t-il.

Que s’est-il passé en 1915 ?

Lors de la réinstallation de la population arménienne en 1915 pendant la Première Guerre mondiale, de nombreuses personnes ont péri en raison d'épidémies, de la faim, de l'épuisement et des attaques de bandes armées, malgré les plans du gouvernement ottoman pour assurer protection et nourriture. Ce déplacement n'est pas dû à des raisons criminelles mais poursuit un but militaire, martèle Gauin, qui refuse de qualifier les évenements de "génocide".

"En 1914, l'État ottoman s'est retrouvé face à un problème sécuritaire majeur d'insurrection des nationalistes arméniens qui attaquaient les voies de communication vitales pour le front russe et tentaient de couper la voie de chemin de fer entre Istanbul et les provinces arabes. Or, en pleine guerre on manquait d'hommes et il était impossible de recourir à la technique habituelle de l'armée ottomane contre des révoltés, c'est-à-dire de mobiliser de grandes unités, et de combattre les insurgés. Dès lors, si vous n'arrivez pas à détruire des insurrections par des moyens conventionnels, déplacer les civils c'est comme vider un étang pour attraper les poissons", explique-t-il.

Selon l’historien, les massacres qui ont eu lieu n'étaient pas systématiques ni planifiés par l'État ottoman, qui a d'ailleurs poursuivi en justice les responsables des actes de violence, avec 1 397 condamnations entre 1915 et 1917. De plus, des mesures ont été prises, pour fournir de la nourriture aux déplacés, avec le soutien de missionnaires américains, de diplomates allemands et, plus tard, de Suisses même si celles-ci ont été parfois insuffisantes.

Environ 500 000 Arméniens, dont huit députés et quatre sénateurs ottomans, le directeur général de la Banque ottomane et d'autres hauts fonctionnaires, ont été exemptés de déplacement forcé pour des raisons professionnelles, géographiques ou religieuses, affirme Gauin, illustrant que les Arméniens ottomans n'étaient pas exclus des droits de citoyenneté ou des postes de haute fonction publique.

"Quand la décision de déplacer n'est pas prise dans un but criminel. Quand on épargne une partie de la population, quand on réprime les éléments criminels et quand on fait ce qui est possible pour nourrir les personnes déplacées, on ne peut pas parler de génocide", résume l’historien.

Alors que la Turquie a proposé plusieurs fois de mettre en place une commission conjointe d'historiens turcs et arméniens pour étudier cette question, Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre, a exprimé en 2014 ses condoléances aux descendants des Arméniens qui ont péri en 1915.

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TRT Francais