Arménie: Pashinyan adopte un discours critique sur l’enseignement de l’histoire nationale
Le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, s'est interrogé sur l'influence de la diaspora dans l'imposition d'une certaine vision de l'histoire qui, aujourd'hui, peut présenter un obstacle au bien-être de ses citoyens.
Pashinyan plaide pour une redéfinition des frontières du pays et des objectifs nationaux, qui soit "adaptée aux conditions actuelles" et "encourage le développement du pays", notamment en ce qui concerne les événements de 1915, considérés comme tabous en Arménie et dans la diaspora. / Photo: AP (AP)

Le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, adopte un discours critique concernant l’enseignement de l’histoire nationale arménienne et la perception qu’en a le pays, tout en tentant d’apporter certains changements parallèlement à ses nouvelles recherches en matière de politique étrangère suite à la seconde guerre du Haut-Karabagh.

Après la défaite cinglante de l’armée arménienne dans le Haut-Karabagh, territoires azerbaïdjanais occupés, en 2020, Pashinyan a lancé des initiatives de changement dans divers domaines et plus particulièrement, dans l’enseignement de l’histoire et la perception qu’en a le pays, tant en Arménie qu’au sein de sa diaspora.

Pashinyan plaide pour une redéfinition des frontières du pays et des objectifs nationaux, qui soit "adaptée aux conditions actuelles" et "encourage le développement du pays", notamment en ce qui concerne les événements de 1915, considérés comme tabous en Arménie et dans la diaspora.

Sans s’opposer à la qualification des événements de 1915 comme "génocide", Pashinyan a néanmoins introduit des approches suscitant des débats parmi les masses concernant la manière dont cette question est perçue et instrumentalisée.

Dans son message du 24 avril 2023, Pashinyan avait souligné que, dans le contexte de la volonté de l’Arménie d’établir et de développer de bonnes relations avec ses voisins, la réévaluation de la position sur les événements de 1915 était le seul moyen d’assurer la sécurité et la prospérité.

Dans son message du 24 avril 2024, ce dernier avait relevé l’abandon de la quête d’une "patrie perdue", soulignant que les "terres promises" étaient en réalité l’Arménie actuelle, seule capable d’assurer le bien-être de ses citoyens.

"La grande catastrophe ne doit pas être une punition que nous subissons sous la forme d’une privation de patrie ou d’une quête incessante de notre terre perdue. Nous devons abandonner cette recherche de patrie, car nous avons trouvé cette patrie, ces ‘terres promises’ où coulent le lait et le miel", a-t-il souligné, proposant une vision de l’État reposant sur une "véritable Arménie" souveraine, démocratique, délimitée dans ses 29 743 kilomètres carrés.

Affirmant avoir lui-même traversé un processus de transformation, Pashinyan a expliqué, lors de son discours du 24 mai 2024, que les efforts visant à délimiter et tracer les frontières entre son pays et l’Azerbaïdjan visaient à apporter prospérité et paix dans la région, dans le cadre d’un processus continu de création d’une "véritable Arménie" souveraine et démocratique.

"J’ai traversé un chemin douloureux pour atteindre la psychologie de la véritable Arménie", a lancé Pashinyan, ajoutant que la quête d’une "Arménie historique perdue" constituait un obstacle au progrès et à la prospérité du peuple.

Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan avait déclaré, le 31 octobre 2024, devant l’Assemblée nationale, que la promotion des événements de 1915 comme "génocide" ou les recherches historiques à ce sujet ne figuraient pas parmi les priorités de la politique étrangère arménienne ou de son ministère.

D’autre part, dans un discours publié le 15 avril 2024 sur sa page Facebook personnelle, préparé pour l’école politique de son parti au pouvoir, le Contrat civil, intitulé "La psychologie sociale de la République d’Arménie", Pashinyan a évité d’utiliser le terme "génocide", préférant les expressions "grande catastrophe" et "massacre", ce qui a déclenché une vague de réactions parmi les milieux d’opposition.

Changements dans le programme des manuels d’histoire

Le 12 juillet, le Conseil des ministres présidé par Pashinyan a décidé que les cours d’histoire dans les écoles arméniennes enseigneraient désormais "l’Histoire de l’Arménie", mettant en avant l’État arménien moderne, au lieu de "l’Histoire arménienne".

Pashinyan a expliqué que le contenu de "l’Histoire arménienne" se concentrait davantage sur une succession de créations et de destructions d’États précédents que sur leurs caractéristiques propres.

Lors de cette réunion, il a été précisé que le contenu de "l’Histoire de l’Arménie" inclurait le processus de présentation et d’enseignement de l’histoire de l’État de droit, transmettrait pleinement l’idée de construction étatique et viserait l’analyse et la présentation des événements historiques du point de vue de la République d’Arménie moderne.

"Nous n’avons aucune revendication territoriale envers un quelconque pays"

Le Premier ministre Pashinyan avait en outre, dans une déclaration faite le 18 septembre 2024, abordé les politiques de l’Arménie envers les pays de la région.

"La République d’Arménie reconnaît l’intégrité territoriale de tous les pays de la région et n’a aucune revendication territoriale envers un quelconque pays", a-t-il expliqué.

Pour ce dernier, la notion d’"Arménie historique" impliquait un rôle d’avant-poste dans l’objectif de constituer un pays, un État ou une patrie plus vaste, alors que son gouvernement préférait une vision de la "véritable Arménie" visant à assurer le bien-être des citoyens.

Changements dans l’hymne national

Le gouvernement arménien envisage de modifier l’hymne national par le biais d’un projet de loi décidé mais pas encore approuvé par le Parlement.

Lors de la réunion du Conseil des ministres du 28 novembre 2024, une décision a été adoptée prévoyant des modifications dans le texte de l’hymne national.

Cette modification législative vise à déplacer le dernier couplet de l’hymne, qui signifie "La mort est sacrée pour l’indépendance de la nation".

Dans son discours du 31 janvier, Pashinyan a souligné que l’hymne actuel se terminait par une célébration de la "mort", alors qu’il devrait plutôt acclamer la "vie".

Bien que le texte de l’hymne ne soit pas modifié en substance, cette initiative est également remise en question par les milieux d’opposition.

Changement dans le symbole du mont Ararat

Le leader arménien s’oppose également à l’utilisation du mont Ararat, situé dans les frontières de la République de Turquie, comme un symbole appartenant aux Arméniens.

"Quand je parle d’Ararat et d’Aragats, je fais référence aux territoires de l’Arménie et à ceux qui se trouvent hors de l’Arménie. Aragats est situé à l’intérieur des frontières de la République d’Arménie, tandis qu’Ararat (le mont Ararat) ne l’est pas. C’est très clair", avait-il pointé en mai 2023.

Lors d’un discours à l’Assemblée nationale en juin 2023, Pashinyan a également attiré l’attention sur ce sujet, critiquant la symbolique du mont Ararat dans le contexte du "Déluge de Noé" et de "l’Arche de Noé" qui s’y serait échouée, ainsi que la figure du lion des montagnes, qui n’existe plus en Arménie.

Dans une interview accordée à la télévision publique le 25 janvier, Pashinyan a ajouté que si les revendications sur "l’Arménie historique" et "Ararat" persistaient, personne ne voudrait vendre d’armes à l’Arménie, avançant que par le passé, cela avait conduit à la livraison d’armes "rouillées" à l’Arménie (par la Russie).

Messages à la diaspora

Lors de sa participation au Forum économique mondial en Suisse, le Premier ministre arménien a rencontré des représentants de la communauté arménienne le 25 janvier.

Dans ce discours, dont la vidéo et une grande partie du texte ont ensuite été retirées des médias officiels arméniens, Pashinyan a abordé les événements de 1915.

Tout en qualifiant les prétendues allégations de génocide comme une partie intégrante de l’identité arménienne, le Premier ministre a souligné la nécessité de réexaminer la manière dont ces événements sont perçus et abordés.

Posant la question "Par qui les avons-nous perçus ?" aux représentants de la diaspora, Pashinyan s’est interrogé sur l’absence d’un tel agenda en 1939 et sur les raisons de son émergence en 1950.

Il a laissé entendre que la réponse était liée à des dynamiques extérieures.

Remettant en question la manière dont les Arméniens subissent l’influence des événements historiques.

"Comment cela s’est-il produit ? Devons-nous le comprendre ou non ? Devons-nous aborder ces sujets ou non ? Gérons-nous notre identité ou ne la gérons-nous pas ? Ce sont des questions fondamentales qui doivent être abordées, et surtout comprises, pour résoudre nos problèmes. Sinon, nous ne ferons rien", a-t-il insisté.

Défendant l’idée que les événements de 1915 doivent faire partie de l’identité arménienne, Pashinyan a insisté sur le fait qu’ils devraient être un "outil" et que ce sont les Arméniens qui doivent gérer leur histoire, et non l’inverse.

Il a appelé à enquêter sur ces questions : "Je pense que nous pouvons comprendre pourquoi notre histoire est restée silencieuse à certaines périodes et pourquoi elle est devenue plus audible à d’autres moments".

L’opposition accuse Pashinyan de semer le doute

Les déclarations de Pashinyan à Zurich ont été critiquées par des membres de la Fédération révolutionnaire arménienne (Tachnagtsoutioun) et du Parti républicain d’Arménie, qui ont affirmé qu’il "instillait le doute sur la vérité".

Face à l’augmentation des réactions en Arménie, Pashinyan a ressenti le besoin de clarifier ses propos.

Lors d’une rencontre avec des journalistes, le 31 janvier dernier, alors qu’un reporter l’accusait de nier le prétendu génocide, Pashinyan a défendu que ces événements étaient des faits indéniables, ajoutant que "leur négation est un crime selon le code pénal arménien".

Faisant allusion à des influences extérieures dans la perception des événements de 1915 par les Arméniens, il a déclaré : "Au début du siècle, au milieu du siècle, à la fin du siècle, et même aujourd’hui, ne pourrions-nous pas percevoir correctement les faits ? Ne nous fions-nous pas trop aux encouragements et incitations extérieures ? Ne calculons-nous pas bien notre attitude face à ces impulsions ?".

La question du recensement

Une autre initiative de l’administration Pashinyan concernant les événements de 1915 portait sur la détermination du nombre de victimes.

Le 15 avril 2024, Andranik Kocharyan, président de la Commission permanente de la défense et des questions de sécurité de l’Assemblée nationale, a appelé à des travaux pour établir le nombre et les noms des Arméniens tués en 1915.

Cette proposition a de nouveau suscité des réactions au sein de l’opposition arménienne, qui a accusé le gouvernement Pashinyan de "négationnisme", arguant que le nombre réel pourrait être bien inférieur à celui traditionnellement accepté dans l’historiographie nationale arménienne.

Face aux réactions, le gouvernement a suspendu cette initiative.

TRT Français et agences