C’est un épisode traumatisant de la mémoire collective sénégalaise jusque-là ignorée par le colonisateur français qui vient enfin d'être révélé.
Au matin du 1er décembre 1944, au camp militaire de Thiaroye (ville située non loin de la capitale sénégalaise Dakar), des troupes coloniales et des gendarmes français avaient tiré, sur ordre d'officiers de l'armée française, sur des tirailleurs rapatriés qui réclamaient leurs arriérés de solde.
Six tirailleurs africains, exécutés avec des dizaines d'autres sur ordre d'officiers de l'armée française en 1944 à Thiaroye au Sénégal, viennent d'être reconnus "morts pour la France" à titre posthume. Une décision mémorielle qui marque un tournant dans ce dossier douloureux entre la France et ses anciennes colonies.
Selon le bilan dressé par les autorités françaises à l'époque, au moins 35 tirailleurs avaient trouvé la mort, sur place ou des suites de leurs blessures. Un chiffre qui reste encore sujet à controverse, des historiens l'estimant beaucoup plus élevé.
Cette mention de "Morts pour la France" a été attribuée par une décision datée du 18 juin dernier à ces six tirailleurs par l'Office national français des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG).
Elle concerne "quatre tirailleurs originaires du Sénégal, un de Côte d'Ivoire et un de Haute-Volta" (devenu le Burkina Faso). Cette première décision "pourra être complétée dès lors que l'identité exacte d'autres victimes aura pu être établie", a précisé le secrétariat d'Etat.
Le lieu d'inhumation des soldats tués, dans des tombes individuelles ou des fosses communes, à Thiaroye ou ailleurs, fait également débat.
Le traumatisme et le souvenir de ce massacre sont toujours vifs au Sénégal et sur le continent africain.
- "Regarder l'histoire en face" -
Rompant avec une pratique du déni, l'ancien président français François Hollande avait rendu officiellement hommage, lors de son mandat, à ces tirailleurs massacrés par l'armée coloniale à Thiaroye.
"Après la déclaration du président François Hollande il y a 10 ans, c'est une nouvelle étape. C'était essentiel, il est désormais temps de regarder cette histoire, notre histoire, comme elle fut", a ajouté, ce dimanche, le secrétariat d'Etat.
Le corps français des "Tirailleurs sénégalais" -créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960- rassemblait des militaires des anciennes colonies françaises d'Afrique, notamment des Sénégalais, des Soudanais (actuels Maliens), des Voltaïques (aujourd'hui Burkinabè) et des Ivoiriens.
Le terme de "tirailleur sénégalais" a fini par désigner l'ensemble des soldats d'Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation.
Les quelque 1.300 tirailleurs rassemblés au camp de Thiaroye -d'ex-prisonniers de guerre des Allemands qui avaient participé aux combats de 1940- avaient embarqué en France, début novembre 1944, pour être renvoyés en bateau à Dakar.
Après leur arrivée au camp, plus de deux semaines plus tard, ils se révoltent contre le retard du paiement de leurs arriérés de solde, plusieurs refusant de rentrer dans leurs pays et foyers sans être payés.
Les évènements de décembre 1944 ont inspiré un film, "Camp de Thiaroye", réalisé en 1988 par le célèbre cinéaste sénégalais Ousmane Sembène et son compatriote Thierno Faty Sow.