Les leaders de la Confédération des États du Sahel refusent de se laisser gronder et renvoient une à une les mises-en-garde de leurs anciens alliés de la Cedeao. Le dernier groupement régional à voir le jour en Afrique veut faire entendre qu’il est bien une structure régionale à composer avec, et non une alliance de circonstance.
Dès l’annonce par le Burkina Faso, le Mali et le Niger de la naissance de leur Confédération, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest a tiré à boulets rouges sur cet “acte très inquiétant pour les populations de ces pays”.
L’annonce programmée pour produire le plus grand effet a focalisé l’intérêt du sommet des dirigeants de la Cedeao, qui s'est tenu le lendemain à Abuja. La vieille structure fait pâle figure devant l’engagement pris à Niamey par les dirigeants militaires des trois pays de consolider davantage leur alliance, l'Alliance des États du Sahel (AES), sous forme d’une Confédération où seront lancés des programmes d’intégration.
Un développement rapide, certes, mais pas surprenant. L’annonce fait suite à une série de querelles avec l'organisation ouest-africaine qui finiront par aboutir à ce stade de rupture que les gouvernements des trois pays considèrent “irrévocable”.
Chronique d’une crise annoncée
Les premières disputes remontent à 2020 et 2021 après les coups d’État qui ont porté au pouvoir au Mali le colonel Assimi Goïta. La Cedeao avait imposé alors à Bamako de lourdes sanctions commerciales et financières et suspendu le Mali de ses instances.
Après s’être rendu compte que ce blocus produisait l’effet opposé des objectifs escomptés, la Cedeao a levé ses sanctions en 2022 dans l’espoir d’amadouer les nouveaux maîtres de Bamako. Entre-temps, un rapprochement s’était naturellement opéré entre le Mali et le Burkina Faso voisin, lui-aussi gagné par la vague d’instabilité qui a traversé le Sahel. Ouagadougou a été, en effet, le théâtre de deux coups d'Etat en 2022, le dernier perpétré par le capitaine Ibrahima Traoré. Au Niger, ce fut le général Abdourahamane Tiani qui prit les rênes du pays en juillet 2023.
Mise au pied du mur par cette avalanche de putschs, la Cedeao multipliait les menaces d’intervention militaire pour “restaurer la démocratie”. Malmenés mais intacts, les jeunes leaders ont su négocier les premiers mois de la crise en mettant en jeu les visées contradictoires des puissances mondiales dans la région et les déséquilibres provoqués par la régression de l’engagement militaire français. Ayant élevé la souveraineté en un cri de ralliement, les leaders de la transition ont su mobiliser la population derrière eux pour contenir les réactions internationales et réduire la Cedeao à un organisme étranger soupçonné d’être “à la solde de la France”, l’ex-puissance coloniale qu’ils renient.
Ce qui fut la structure africaine la plus opérationnelle, voire la seule dans certains intervalles, se trouve dans l’impasse. Même avec une expérience d’un demi-siècle, la Cedeao est incapable de trouver la formule pour ramener les trois pays sahéliens dans son giron.
Les remontrances des grands
Entre autres maux, l’organisation met en garde contre "l'isolement diplomatique et politique" des pays de l'AES et la perte de millions d'euros d'investissements. La Cedeao avertit aussi les dissidents quant au risque d’une recrudescence de la violence ethnique et des attentats terroristes. Or, pour toutes ces menaces, les indices étaient déjà au rouge avant l’arrivée des militaires au pouvoir. D’où le manque d’effet.
Par contre, les menaces à peine voilées d’embargo sont à prendre au sérieux. Le chef de la Commission de la Cedeao, Omar Alieu Touray, a prévenu dimanche dernier que les ressortissants des pays de l'AES pourraient à l'avenir devoir demander des visas pour voyager dans le reste de la région et que des obstacles à la libre création d'entreprises pourraient surgir. C’est de loin la conséquence la plus concrète qui risque d’avoir des incidences militaires, comme on l’a vu ailleurs en Afrique.
Un risque que les trois composantes de la Confédération se disent prêtes à courir pour “accélérer leur marche sur le chemin de la souveraineté”, selon les termes utilisés par le vice-président de la Commission de Défense au Conseil national de transition au Mali, Fousseynou Ouattara.
“Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont en commun la zone du Liptako Gourma, très convoitée par la France et les pays occidentaux pour les richesses de son sous-sol, ce qui est source de déstabilisation pour eux. En se donnant la main, les trois États vont non seulement sécuriser (leurs frontières) et mettre fin au terrorisme, mais aussi accélérer leur développement”, argumente M. Ouattara dans un débat animé par un blogueur local.
Interrogé sur l’impact escompté de l’alliance sur la lutte contre le terrorisme, le resposable malien est catégorique: “elle aura un impact certain, parce que ces pays étaient utilisés par les uns et les autres pour déstabiliser la région”.
M. Ouattara n'exclut pas complètement la menace d’une ingérence militaire de la part des pays de la Cédéao au Niger, mais en appelle à la sagesse des puissances “qui ont à cœur les intérêts des peuples” pour parer à cette éventualité. Entendez par là, les puissances autres que celles qui étaient présentes dans le continent.